humeur du 15/08/2017
Dans les facultés de médecine, jusque dans les années 1970, les professeurs de pharmacologie et de thérapeutique apprenaient consciencieusement aux étudiants que les médicaments pouvaient parfois être dangereux. Nul ne retenait vraiment les risques énumérés, car les étudiants étaient d’abord fascinés par l’effet thérapeutique dont ils seraient un jour les détenteurs respectés. La pharmacovigilance était quasi-inexistante à cette époque, et chacun avait la conviction que tous les médicaments avaient plus de bénéfices que de risques.
Devant cette ignorance, une phrase revenait régulièrement dans les cours : « au-delà de trois médicaments, on ne maîtrise plus nos prescriptions et l’on ignore tout des interactions possibles ».
Cette règle des trois médicaments au maximum relevait du simple bon sens et elle était plus ou moins admise par tous. Mais avec les pressions des patients et des firmes pharmaceutiques, elle était rarement respectée et l’on voyait déjà circuler des ordonnances de dix, voire quinze médicaments différents par jour.
Puis devant l’ampleur des accidents liés aux médicaments et à leurs interactions, la pharmacovigilance et l’esprit critique des médecins ont fait de timides progrès. On a découvert également « l’effet cocktail » : lorsque deux produits chimiques mis ensemble potentialisent leurs effets biologiques. Phénomène très bien étudié pour les perturbateurs endocriniens. Ainsi, au-delà des interactions médicamenteuses, les médecins d’aujourd’hui devraient considérer les interactions avec les toxiques environnementaux. Mais dans ce domaine, notre ignorance est encore plus grande.
Nous devrions alors prudemment revenir tout simplement à la règle des trois médicaments au maximum. Mais comment, dans le consumérisme d’aujourd’hui, les médecins pourraient-ils respecter une règle qu’ils n’ont pas respectée hier ?
Par ailleurs, la part de la prescription médicale se réduit. L’automédication a gagné du terrain, de puissants médicaments sont en vente libre, internet propose à foison des médicaments authentiques et frelatés, les spécialités médicales et paramédicales se multiplient, les médias annoncent quotidiennement un nouveau miracle médicamenteux. Les maisons de retraite se transforment en « piluliers » distribuant jusqu’à vingt molécules différentes par jour à leurs pensionnaires. Tandis que se multiplient des perturbateurs endocriniens qui restent toujours hors du champ de la connaissance médicale, et que les personnes en parfaite santé deviennent de gros consommateurs de médicaments.
Alors, trois ou vingt médicaments, peu importe ; la médicamentation n’est plus le fait de la médecine, elle est le fait de la société. Rien ne sert d’enseigner la pharmacocinétique ou la pharmacodynamie dans nos facultés de médecine, il faut enseigner la pharmacologie sociale.
AFP
900 accidents médicaux en moyenne par jour, dont 400 «évitables»
AFP, Fred Dufour, 9 novembre 2010
Debroise Anne
Les secrets de l'effet cocktail
La Recherche, N° 505, nov 2015, pp 16-19
Delfosse V, Dendele B, Huet T, Grimaldi M, Boulahtouf A , Gerbal-chaloin S, Beucher B, Roecklin D,Muller C, Rahmani R, Cavaillès V, Daujat-chavanieu M, Vivat V, Pascussi JM, Balaguer P, Bourguet W
Synergistic activation of human pregnane X receptor by binary cocktails of pharmaceutical and environmental compounds
Nature Communications 6, Article number: 8089. 03 September 2015
DOI : 10.1038/ncomms9089
Prescrire rédaction
Médicamentation de la société, l'affaire de tous : le point de vue de la pharmacologie sociale
Revue Prescrire, 37: 406, août 2017, p 597
Zhang M, D'arcy J, Holman J, Price SD, Sanfilippo FM, Preen DB, Bulsara MK
Comorbidity and repeat admission to hospital for adverse drug reactions in older adults: retrospective cohort study
BMJ 2009;338:a2752
DOI : 10.1136/bmj.a2752
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La maladie, qui n'est, chez le vulgaire, que la déchéance, n'est chez les grands chercheurs d'idées que prédisposition naturelle au sublime.
― Eugène Pelletan (politicien radical !) (1813-1884)