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Les fabricants de pauvres

humeur du 25/07/2019

Alors que la misère tend à reculer dans le monde, les pauvres sont en nombre croissant dans les pays développés. La création de richesse dans les pays émergents fait apparaître une classe moyenne, pendant que l’accumulation de richesse dans les pays riches augmente les inégalités sociales. Cette tendance est lourde et l’on peine à comprendre ce paradoxe de l’aggravation de la misère dans les pays riches, même dans ceux où les aides sociales sont importantes. Cela signifie que les facteurs contribuant à la fabrication des pauvres sont d’une grande complexité.

Vus sous l’angle médical, certains cercles vicieux socio-sanitaires des pays riches se dégagent pourtant assez facilement. Par exemple, la publicité et l’abondance de boissons sucrées favorisent l’obésité qui est la première cause de prématurité, laquelle est à son tour une source importante de handicaps sensoriels et cognitifs, lesquels gêneront l’ascension sociale et l’éducation, ce manque d’éducation majorant à son tour l’efficacité des pressions publicitaires. Sur ce modèle emblématique, nous pouvons établir à loisir de multiples cercles vicieux : alcool → violence conjugales → traumatismes de l’enfance → séquelles psychiques → inadaptations professionnelles → alcool.   Ou encore : télé-réalité → laminage cognitif → pression publicitaire → endettement → dépression → alcool ou dépendance pharmaceutique.
Ou, en partant de beaucoup plus haut : impératifs boursiers → pression des actionnaires → harcèlement au travail → burn-out → chômage → télé-réalité, facebook ou autres addictions → laminage cognitif → etc.

On trouve aussi de fortes corrélations entre misère, parentalité précoce, monoparentalité et problèmes psychosociaux. Quelles que soient les capacités individuelles de résilience, ces réalités statistiques sont incontournables.
La croissance profite assurément à l’éducation et à la diminution de la pauvreté dans les pays émergents. Puis à long-terme, lorsque la croissance n’est plus une nécessité mais une servitude, elle devient un nouveau facteur d’inégalité socio-sanitaire.

À ce jour, aucune politique, dans aucun pays, n’a proposé de modèle alternatif à la croissance. Il en résulte que les principaux secteurs pourvoyeurs de croissance et d’emplois sont devenus la santé et l’humanitaire. Mais ils coûtent si chers pour de si maigres résultats que le modèle d’un renouveau de croissance par fabrication de pauvres n’est pas tenable à court-terme. Même si, sur le modèle du pollueur-payeur, on taxait très fortement les entreprises qui fabriquent des pauvres.

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La phrase biomédicale aléatoire

La proportion de patients (1%) qui accaparent quelque 21% des coûts de la santé, et qui finissent par succomber à la défaillance polyviscérale, illustrent le problème du progrès. Il y a cinquante ans, ces patients auraient vécu moins longtemps et, dans bien des cas, ils auraient moins souffert. Nous avons remplacé des vies courtes et des décès rapides par leur contraire : des vies prolongées et des morts plus lentes.
― Daniel Callahan

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