humeur du 07/04/2021
Chaque année, en France, 15 000 tonnes de médicaments non utilisés sont rapportées aux pharmaciens. Cela ne représente que 40% du gaspillage, les 60% restant s’accumulent dans les placards à pharmacie des particuliers ou terminent dans leur poubelle. Soit un total de 37 000 tonnes de médicaments qui s’ajoutent aux autres nuisances chimiques. En estimant à 60 gr le poids moyen de chaque boîte, tube ou flacon, et à 10 € son prix moyen, le gâchis est de 6 milliards d’euros.
Par ailleurs, la consommation totale de médicaments dépasse les 60 milliards d’euros. En comparant les prescriptions entre pays, et en évaluant le poids de la pathologie iatrogène, on peut affirmer que dans notre pays, plus de la moitié des prescriptions sont inutiles, abusives ou dangereuses.
Ainsi, les 6 milliards d’euros qui finissent à la poubelle ou dans les incinérateurs ne sont rien en regard des 24 milliards qui trouent les estomacs, détruisent les reins et le foie, provoquent des addictions, des chutes, des fractures, des comas, des suicides, des homicides et autres effets secondaires mineurs plus volontiers inscrits sur les notices. Il est beaucoup plus difficile d’évaluer le coût des réparations de cette iatrogénie.
En santé publique, on essaie parfois d’évaluer le coût d’une année/qualité de vie gagnée. Par exemple, la scolarisation des filles en Afrique est le meilleur rapport entre l’argent investi et le gain d’années/qualité de vie (AQV). À l’autre extrémité se trouvent les chimiothérapies en cancérologie qui ont un piètre rapport. Plus récemment, tous les coûts additionnés de la crise du Covid dépassent les 500 milliards pour un très faible gain global en raison de l’âge des victimes. On peut aisément imaginer qu’après l’accalmie qui permettra des comptes plus sereins, aucun pays ne pourra jamais investir de montants supérieurs par AQV.
Par contre, nous pourrions avoir des rendements bien meilleurs que celui de la scolarisation des filles en Afrique, en économisant tous les milliards de la gabegie médicamenteuse, puisque le coût serait négatif pour un appréciable gain d’AQV.
Cette dialectique comptable est bien austère et ces centaines de milliards me donnent le tournis. J’imagine que ces chiffres sont encore plus vertigineux pour ceux qui comptent chaque centime d’euro en fin de mois. Une idée serait de leur donner en argent les sommes qu’on ne leur donnerait pas en médicaments destinés à soigner leurs carences, leurs fatigues et leurs dépressions. J’ai tout à fait conscience de la loufoquerie et de l’utopie de ce propos. Car en leur donnant ces médicaments labellisés par l’académie, on leur fait honneur, alors qu’une aumône les humilierait.
Le soin est toujours plus noble et plus majestueux, tant pour celui qui donne que pour celui qui reçoit, même quand il dégrade la santé.
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Le "nerveux" est un merveilleux marchepied conceptuel. C'est un mot tampon d'une très grande utilité sanitaire, créé par des médecins précurseurs, et adopté à l'unanimité par les patients. Le "nerveux" est un sas de communication dans la relation médecin malade, une escale sur l'itinéraire qui passe du soma au psyché. Le "nerveux" est ce qui reste lorsque la main du médecin revient bredouille, l'image du radiologue quelconque ou l'analyse du biologiste insignifiante. Le "nerveux" signe la bénignité et réduit l'angoisse.
Le symptôme nerveux, clown ridicule ou pantin fanfaron qui annule des siècles de conquêtes médicales, peut aussi être le point de départ, vers une nouvelle aventure de la communication, car il peut s'ennoblir en psychique ou se sublimer en existentiel. S'il est dérisoire en tant qu'impasse diagnostique, il devient prodigieux en tant que passerelle métaphysique. En se débarrassant de sa pelure organique, le symptôme nerveux quitte le monde charnel, pour conquérir le monde mystique ou règne un inconscient supposé, maître des vices et des vertus.
― Luc Perino