dernière mise à jour le 24/11/2024
L'évolution du cancer est au cœur des mauvais résultats des thérapies anticancéreuses, incapables d’empêcher la progression des tumeurs et l'acquisition de modifications génétiques permettant la résistance aux médicaments. Les efforts conjoints des biologistes de l'évolution, des oncologues et des chercheurs sur le cancer sont nécessaires pour comprendre les principes de l'évolution du cancer et en déduire des stratégies thérapeutiques capables de contrôler cela ?
Une hétérogénéité intratumorale a été détectée dans la plupart des cancers
Ceci témoigne de l’instabilité génomique qui conduit à l'acquisition de défauts génétiques au cours de la croissance tumorale. L'identification de mutations sous-clonales et d’évolutions parallèles où plusieurs sous-clones tumoraux ont acquis différentes mutations sur le même gène, prouvent que l’hétérogénéité alimente la sélection darwinienne.
Cette nature évolutionniste fondamentale permet l’apparition de nouveaux phénotypes tumoraux capables d’envahir des organes adjacents et de métastaser.
Cette évolution est aussi le moteur du développement de la résistance aux médicaments, illustrée par la nécessité de thérapies multiples après un premier échec.
En fait, la plupart des tumeurs acquièrent une résistance aux médicaments après seulement quelques mois de traitement, malgré des investissement de recherche de plus en plus importants.
Par conséquent, la capacité des tumeurs à évoluer reste le plus grand problème non résolu en cancérologie. Comprendre les principes de l'évolution du cancer est donc un grand défi pour affronter ces maladies
Nous avons résumé ces principaux défis.
Questions biologiques
Comprendre l'évolution d'une tumeur localisée vers une maladie métastatique létale ne peut pas être réalisé par des études génétiques seules. Cela nécessite plutôt de s’interroger sur les pressions de sélection rencontrés par les cellules cancéreuses sous diverses conditions environnementales et la façon dont elles façonnent les génotypes et les phénotypes.
Par exemple, les pressions de sélection diffèrent entre le centre tumoral où la concurrence pour les ressources est féroce, et la marge tumorale, où la capacité d’envahir les tissus environnants peut être la stratégie de survie la plus efficace.
Les métastases sont la cause prédominante de la mortalité par cancer et les principales cibles de la chimiothérapie. Évaluer si les pressions de sélection dans les métastases diffèrent systématiquement de celles s’exerçant sur la tumeur primitive et comment cela influence l'évolution du cancer peut informer sur la façon de prévenir les maladies métastatiques ou de mieux les cibler. Détailler les cartes évolutives des pressions de sélection des génotypes et phénotypes en diverses localisations anatomiques et divers microenvironnements aiderait à interpréter l'importance des mutations observées, à révéler les lieux de plus grande diversité, et ceux où les cellules sont les plus résistantes aux médicaments.
Les cellules cancéreuses hébergent souvent des antigènes, tels que des mutations immunogènes, qui peuvent être reconnues par les cellules immunitaires. Identifier comment la pression de sélection sur les cellules immunitaires façonne les génomes du cancer dès le début de la tumorigenèse jusqu’à la maladie métastatique pourrait aider à démêler les mécanismes employés par les cancers pour tenir les cellules immunitaires à distance.
Cela pourrait également définir de nouvelles cibles pour l’immunothérapie.
Les inconvénients potentiels qui peuvent survenir de l'adaptation à certaines pressions de sélection sont également mal comprises. Par exemple, les sous-clones qui ont acquis une résistance au récepteur du facteur de croissance anti-épidermique peuvent régresser après l'arrêt du médicament, indiquant qu’en l'absence de médicament ils sont moins adaptés que leurs homologues sensibles.
De même, l'adaptation à une pression de sélection spécifique dans une partie de la tumeur peut nuire à la capacité de croissance dans une autre, et de tels compromis peuvent être exploitables à des fins thérapeutiques.
À combien d'alternatives évolutives peut accéder un cancer pour s'adapter à une pression de sélection spécifique, et quelles caractéristiques de la tumeur influencent le nombre de trajectoires accessibles ? De plus, on a suggéré que certains cancers évoluent graduellement tandis que d'autres montrent des dynamiques avec des périodes intermittentes de stase. Comprendre les déterminants de telles différences d'évolutivité du cancer pourrait éclairer les nouvelles approches pour stopper ou retarder l’évolution du cancer.
Défis méthodologiques
La biologie évolutionniste fournit une riche ressource de méthodes pour disséquer l'évolution, allant de la phylogénétique à la modélisation de populations à des simulations avec calculs détaillés. Cependant, les génomes du cancer abritent souvent des mutations ainsi que des aberrations structurelles et numériques des chromosomiques, et les méthodes conçues pour l'analyse des modifications génétiques moins complexes nécessitent d’être adaptées à l’étude des cancers. Les sous-clones dans les tumeurs solides ne se mélangent pas librement mais sont séparés spatialement. Cela conduit à des biais d'échantillonnage qui compliquent l'analyse des populations tumorales. Cela peut même donner l’illusion de monoclonalité lorsqu’une seule région tumorale est analysée dans une tumeur hétéroclonale. Des efforts sont faits actuellement pour mesurer cette hétérogénéité. Comment un clone doit être défini lorsque chaque division cellulaire est susceptible d’en générer de nouveaux ? L’hétérogénéité doit être étudiée en macroscopie et microscopie.
La plupart des mutations d'un cancer sont passagères et n'ont pas d'influence sur la fitness cellulaire. On manque d'outils pour identifier les mutations qui altèrent la valeur adaptative d’un clone. On n’a pas encore les méthodes qui permettent d'évaluer si la distribution des mutations sous-clonales est cohérente avec une dynamique évolutive neutre, ou pour savoir si les changements dans les fréquences alléliques résultent plus du hasard ou de la sélection.
Applications en cancérologie médicale
Des prédictions précises sont essentielles pour obtenir de meilleurs traitements. Par exemple, la capacité à prédire lequel des médicaments disponibles fournira la réponse la plus durable. Toutefois des processus stochastiques, tels que la mutation et la dérive génétique, influencent l’évolution. Avec le hasard opérant à plusieurs niveaux, la prévisibilité de l'évolution du cancer est difficile.
Ces limitations varient avec la taille de la population tumorale, le taux de mutation et bien d’autres caractéristiques tumorales. Des outils sont nécessaires comme la surveillance fréquente des traits évolutifs dans les tumeurs où le hasard domine.
Nous avons besoin de nouvelles thérapies qui empêchent l'évolution des résistances aux médicaments. Les développer semble difficile en considérant que les cellules cancéreuses résistantes aux médicaments préexistent au moment du diagnostic. Cependant, des données récentes sur des xénogreffes tumorales suggèrent que l’on peut contrôler la résistance en diminuant les dose après une première réponse. Cette réduction de la pression de sélection peut permettre la survie des clones sensibles aux médicaments en mettant les autres en échec. Quel que soit le mécanisme exact, ces données apportent la preuve que l’on peut limiter l’évolution des résistances. Même si le contrôle clinique à long terme reste impossible. Des modèles d'évolution computationnels seront indispensables pour définir les stratégies et les scénarios.
L’inhibition thérapeutique des mécanismes d’instabilité génomique, comme les inhibiteurs de la cytosine APOBEC désaminase, est une autre stratégie possible. Les modèles évolutionnistes peuvent nous informer sur les bénéfices selon la taille et l’hétérogénéité des tumeurs.
Les immunothérapies ont récemment montré des bénéfices substantiels dans les mélanomes métastatiques et les cancers du poumon. Un sous-ensemble de patients peut être guéri par l'immunothérapie, résultat impossible avec d’autres thérapeutiques. Comment le système immunitaire peut y parvenir, soit par ses propres capacité évolutives ou en ciblant antigènes cancéreux, est un grand sujet de recherche.
Les efforts conjugués de biologistes évolutionnistes, oncologues et chercheurs en cancérologie sont nécessaires pour intégrer la pensée évolutionniste dans la recherche clinique. Les entreprises pharmaceutiques se concentrent sur le développement d'inhibiteurs optimaux pour une, mais peu d'attention a été accordée aux mécanismes de résistance.
Von Loga K, Gerlinger M
Cancer (r)evolution
Nat Ecol Evol 2017 Aug 1 8 1051 1052
DOI : 10.1038/s41559-017-0252-1
Depuis quelques années, le problème de l'antibiorésistance, les progrès de la génomique, la redécouverte du microbiote et la prise en charge de maladies au long cours, nécessitent l'introduction d'une pensée évolutionniste dans la réflexion clinique.
Le premier diplôme universitaire intitulé "Biologie de l'évolution et médecine" a été mis en place à la faculté de Lyon en 2016.
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― Marc Grassin et Frédéric Pochard