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Avant de débrancher l’IA

humeur du 16/06/2023

Les géants du numérique se lancent dans l’intelligence artificielle (IA) dont ils pressentent le potentiel de rentabilité. Ils ont commencé de grandes campagnes de communication en utilisant un procédé régulièrement utilisé par le marketing pharmaceutique. Procédé qui a largement fait ses preuves, consistant à parler en amont d’un problème important à reconsidérer, sans jamais évoquer le produit qui sera bientôt proposé sur le marché pour le résoudre. C’est le « condition branding » ou « unbranded campaign » qui consiste à parler de la migraine, de la ménopause, de l’allergie, de l’ostéoporose ou de l’anxiété, de décrire leurs terribles conséquences, tout en déplorant leur sous-diagnostic, pendant qu’un médicament est en fin de développement ou en voie d’approbation.  Lorsque le produit arrive sur le marché, les utilisateurs potentiels ont déjà la carte vitale et la carte bancaire prêtes pour le miracle.

La communication sur l’intelligence artificielle franchit un autre cap. Inutile de continuer à vanter les services que son développement pourrait rendre à l’humanité, car la majorité est déjà convaincue de son intérêt dans de nombreux domaines. Il faut surtout prévenir de tous ses dangers et réfléchir aux moyens de les prévenir. La liste des périls envisagés est très longue. L’IA pourrait passer aux mains de complotistes ou de dictateurs. Elle pourrait pénétrer notre intimité, supprimer de nombreux métiers, annihiler notre pensée et nos recherches. L’IA pourrait aller jusqu’à supprimer l’élan vital et l’instinct de survie. Bref, elle pourrait asservir toute l’humanité. Rien que ça !

Sans trop disserter sur ces conjectures, commençons par constater que Trump, Poutine, Prigojine ou Bolsonaro sont des intelligences naturelles que les pires IA ne sauraient égaler.  

Cette communication débridée évoque aussi la possibilité que l’IA puisse acquérir une conscience équivalente à la conscience humaine. Ne dissertons pas davantage sur la définition de la conscience ni sur son support biologique ou biographique. Réjouissons-nous plutôt à l’idée que la conscience artificielle ne sera jamais perturbée par les amphétamines, le cannabis, l’alcool, la cocaïne, les antidépresseurs, les opiacés et autres drogues licites ou illicites qui ont causé tant de drames et de barbaries et sont devenues la première cause de mortalité directe et indirecte.

Les médias relaient quotidiennement cette communication dictée par les géants du numérique. Sans véritablement avoir « conscience » – le mot est toujours ambigu – que les messages sur les dangers de l’IA sont aussi porteurs en termes mercatiques que ceux sur ses bénéfices. Qui peut le pire est certainement capable du meilleur.

Mais si l’IA devenait vraiment plus dangereuse que Staline, Ben Laden ou Amin Dada, nous possédons un moyen de défense que nous n’avions pas face à ces cerveaux biologiques culturellement dévoyés, il nous suffirait en effet de débrancher la prise électrique.

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La phrase biomédicale aléatoire

Plus le niveau sanitaire d’un pays est élevé, plus la notion de maladie est omniprésente. Plus les soins sont performants, plus la subjectivité de souffrance est grande. Plus les sciences biomédicales progressent, plus la subjectivité de bonne santé se dégrade. Creusement régulier de l’écart entre la science médicale et son vécu par le patient.
― Luc Perino

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