dernière mise à jour le 13/02/2025
Abstract
Dans la lutte contre la résistance aux antibiotiques, nous perdons. Il y a maintenant une menace sérieuse de passer à un monde post-antibiotique. Des niveaux élevés de résistance, en termes de fréquence et de force, ont évolué contre tous les antibiotiques cliniquement approuvés dans le monde. La durée de vie utile des nouveaux antibiotiques cliniquement approuvés est généralement inférieure à une décennie avant que la résistance n’atteigne des fréquences si élevées qu’elle gêne l’utilisation. Cependant, les microbes produisent des antibiotiques depuis des millénaires sans que la résistance ne devienne un problème existentiel. Si la résistance est la conséquence inévitable de l’utilisation des antibiotiques utilisés par l’homme, pourquoi n’est-elle pas devenue un problème pour les microbes également, d’autant plus que les gènes de résistance sont aussi répandus dans la nature que les gènes responsables de la production d’antibiotiques ? Comment les antibiotiques peuvent exister étant donné la présence presque omniprésente de gènes de résistance chez les microbes qui ont eux-mêmes produit et utilisé les antibiotiques avant que les humains n’existent. Nous constatons que le contexte de la production et de l’utilisation des antibiotiques par les microbes peut être essentiel pour comprendre comment la résistance est gérée au fil du temps, la synthèse des antibiotiques et la résistance existant dans une relation appariée, un peu comme une serrure et une clé, avec un impact sur la communauté microbienne.
Enfin, nous avançons ici l’hypothèse cohésive et écologique dite de la « société secrète » pour expliquer la longévité des antibiotiques dans la nature.
Pourquoi les antibiotiques existent dans la nature ?
La majorité des antibiotiques développés doivent leur existence à des microbes. Les antibiotiques font probablement partie du monde microbien depuis des millions d’années. Mais à partir du moment où ils ont été découverts par l’homme et utilisés en clinique, la résistance a évolué rapidement, généralement en une décennie. Le degré de résistance est souvent si élevé que l’antibiotique devient inutilisable à des fins thérapeutiques. Compte tenu de cela, il faut se demander pourquoi l’utilisation d’antibiotiques par les microbes n’a pas conduit à une résistance similaire à celle de l’utilisation humaine.
Les microbes gèrent-ils mieux les antibiotiques, ou y a-t-il quelque chose d’intrinsèque à l’utilisation microbienne de ces composés qui maintient leur applicabilité ? Pourquoi la résistance aux antibiotiques, même les plus anciennes, ne s’est-elle pas stabilisée. Qu’est-ce que les microbes et les humains font différemment ? En bref, nous devons nous demander : pourquoi les antibiotiques existent ? Ici, nous passons en revue l’état actuel des connaissances concernant l’utilisation et l’effet des antibiotiques dans les systèmes naturels et contrôlés par l’homme afin de mieux comprendre le rôle des antibiotiques dans l’écologie et l’évolution des microbes d’hier et d’aujourd’hui.
Histoire de l’origine des antibiotiques
La pierre angulaire de la médecine moderne a été posée dans les années 1890 lorsque Paul Ehrlich, travaillant avec des colorants in vivo, a constaté qu’ils étaient capables de pénétrer dans les cellules et de les tuer. Ses travaux ont conduit au développement du Salvarsan, le premier antibactérien au monde. En 1935, Gerhard Domagk a montré que le prontosil, un colorant rouge, était efficace contre les infections streptococciques, ce qui en fait le premier médicament à base de sulfamides. Prontosil était également très efficace contre la fièvre puerpérale. Les sulfamides avaient des effets secondaires négatifs et ont été utilisés avec un succès limité au milieu du XXe siècle, en particulier pendant la Seconde Guerre mondiale.
Antibiotiques
Le salvarsan et le prontosil étaient les médicaments phares des deux premières classes de chimiothérapie antimicrobienne. Mais bien que bactéricides, ils n’étaient pas des biomolécules naturelles, ils étaient synthétiques. Le premier véritable antibiotique, la pénicilline, a été découvert par Alexander Fleming en 1928. L’observation de Fleming selon laquelle un champignon, Penicillium notatum, inhibait la croissance des staphylocoques sur un milieu gélosé a conduit à l’isolement et à l’identification de la pénicilline.
Cette pénicilline n’a pas révolutionné la médecine du jour au lendemain, car la culture du champignon et sa purification était difficile. Le miracle est venu avec les chimistes Ernst Boris Chain, Howard Florey, Norman Heatley et Edward Abraham qui ont réussi à la purifier et à la produire en quantité. Une autre étape importante s’est produite lorsqu’une autre souche fongique, Penicillium chrysogenum, qui produisait beaucoup plus de pénicilline que la souche de Fleming, a été isolée par Mary Hunt à partir de fruits moisis
L’utilisation clinique de la pénicilline a commencé en 1940, mais le premier véritable antibiotique au monde s’est avéré largement inefficace contre de nombreuses maladies infectieuses, car la pénicilline n’agit que contre les bactéries à Gram positif. Le traitement des bactéries à Gram négatif attendrait la prochaine avancée majeure dans le contrôle des maladies infectieuses, qui a eu lieu lorsque la streptomycine a été découverte en1943.
Montée de la résistance
La première résistance à la pénicilline a été publiée dans des rapports de 1940. La résistance à la streptomycine a été signalée dans le premier essai clinique contrôlé randomisé pour un médicament en 1948. En fait, la résistance à tous les antibiotiques connus (qu’ils soient naturels ou synthétiques) a suivi rapidement l’utilisation clinique ou industrielle du médicament. La réponse habituelle a été d’identifier et de développer de nouveaux antibiotiques pour remplacer les classes plus anciennes, ce qui a conduit à ce que l’on a appelé l’âge d’or des antibiotiques dans les années 1950 et 1960. Cependant, le pipeline de nouveaux antibiotiques facilement identifiables a été rapidement épuisé, ce qui a entraîné un manque d’options thérapeutiques dans les années 1970 qui se poursuit aujourd’hui.
Deux raisons principales expliquent le déclin des nouveaux antibiotiques au cours du dernier demi-siècle : la difficulté accrue d’identifier de nouvelles classes et la montée en flèche des coûts de développement. Le coût de la mise sur le marché d’un nouvel antibiotique est estimé à plus de trois milliards de dollars. Les entreprises pharmaceutiques ont peu d’intérêt financier à développer de tels médicaments à faible profit, de courte durée d’utilisation et de moins de dix ans de vie commerciale en raison de la résistance.
Les responsables ont tenté de contrôler l’utilisation des antibiotiques pour diminuer la résistance, mais elle a persisté à petite et à grande échelle. Cette approche ratée pour contrôler l’évolution de la résistance en limitant l’utilisation a été nommée à juste titre « l’erreur écologique ».
Cette erreur est basée sur une vision simplifiée de l’évolution dans laquelle les gains de fitness microbienne conférés par la résistance aux antibiotiques sont compensés par les coûts d’acquisition de phénotypes de résistance ayant des performances réduites en d’autres aspects de leur biologie. La faille de ce raisonnement est l’hypothèse que l’absence d’antibiotique dans l’environnement a le même niveau d’impact que sa présence, mais un effet opposé. Ce qui est faux : le retour à la sensibilité n’est ni un résultat immédiat ni nécessaire de la sélection. Les raisons sont liées à l’impact durable du traitement antibiotique sur les microbes ainsi qu’à des changements au niveau génétique qui reconfigurent la valeur adaptative des populations résistantes et rendent la réversion moins probable. En bref : la présence de concentrations cliniques d’antibiotiques sélectionne plus fortement la résistance que l’absence d’antibiotiques ne sélectionne le retour à la sensibilité.
Le résistome environnemental
Les microbes sont parmi les organismes les plus anciens et, au cours de leurs milliards d’années d’existence, ils sont entrés en contact étroit avec des molécules toxiques de tous types. La génomique microbienne a fourni une multitude de données indiquant que la plupart des génomes bactériens ont des gènes qui leur permettent de devenir résistants à un ou plusieurs antibiotiques. Ces données ont conduit au développement du concept de « résistome antibiotique », qui comprend tous les gènes de résistance aux antibiotiques (ARG) et leurs précurseurs chez les bactéries pathogènes et non pathogènes.
Les ARG existent dans toutes les niches écologiques qui abritent des communautés microbiennes. Les antibiotiques et d’autres substances toxiques ont donc joué un rôle essentiel dans l’évolution bactérienne et suggèrent que la résistance aux antibiotiques a co-évolué avec la biosynthèse des antibiotiques. L’analyse de l’ADN ancien montre clairement que la résistance aux antibiotiques est un mécanisme naturel antérieur à l’utilisation des antibiotiques comme médicaments. Les bactéries du sol jouent un rôle essentiel dans la production d’antibiotiques et fournissent un bon aperçu de leur capacité à les inactiver. Par exemple, le génome des actinomycètes du sol contient plus de 20 groupes de gènes biosynthétiques pour divers composés bioactifs et ARG. En outre, il existe des bactéries du sol qui peuvent utiliser les antibiotiques comme seule source de carbone. Une compréhension approfondie du rôle fonctionnel de la biosynthèse des antibiotiques et des ARG dans l’environnement peut nous éclairer pour améliorer l’utilisation future des antibiotiques.
Résistance naturelle
Les ARG étaient non seulement présents, mais aussi courants dans un large éventail d’espèces bactériennes, en particulier sur les plasmides qui portent ces gènes et qui ont longtemps été transférés horizontalement au sein et entre les espèces bactériennes. La résistance aux antibiotiques existe depuis aussi longtemps que les antibiotiques eux-mêmes. Alors pourquoi une résistance généralisée et définitive n’est jamais apparue au cours des millions d’années d’utilisation constante par les microbes, bien qu’elle évolue de manière si constante et irréversible dans le traitement des agents pathogènes modernes ?
Note sur la résistance à l’ère préantibiotique
La collection de Murray a été constituée entre 1917 et 1954 par des échantillons bactériens collectés dans des tubes stériles bien bouchés et remplis d’agar-gélose nutritive. Ce stockage permet de conserver les bactéries pendant plusieurs années. Les microbes sont toujours vivants et permettent d’étudier leur ADN «ancien » qui montrent que de nombreux gènes de résistance situés sur les plasmides existaient déjà avant l’utilisation clinique humaine des antibiotiques.
Comment les antibiotiques sont-ils utilisés dans la nature ?
Les antibiotiques produits pas les microbes dans la nature sont utilisés d’une manière très différente de celle du traitement clinique. Ils sont produits à des concentrations bien moins élevées, pour de plus courtes durées et à de moins grandes échelles. Ces différences fondamentales doivent être soigneusement examinées, car leurs effets peuvent également différer.
Concentration, durée et échelle
L’utilisation clinique des antibiotiques chez l’homme est concentrée dans le temps et dans la dose. Les doses cliniquement efficaces d’antibiotiques sont identifiées à l’aide de la pharmacocinétique et de la pharmacodynamie (PK/PD). L’administration d’un antibiotique pour guérir une maladie infectieuse est déterminée en fonction de la concentration maximale d’antibiotique (un indicateur du pouvoir de destruction des bactéries) et de l’efficacité d’une dose délivrée au fil du temps, généralement 24 h. En termes simples, la capacité mesurée d’une dose unique d’un antibiotique à tuer les bactéries et à persister à des concentrations détectables est optimisée par PK/PD pour une utilisation clinique contre une souche bactérienne de sensibilité spécifiée. Si une résistance de faible niveau est constatée, des concentrations maximales et résiduelles plus élevées sur la durée spécifiée sont utilisées.
Note sur les principes de base du PK/PD
En laboratoire la concentration minimale inhibitrice (CMI) est mesurée par la taille de la zone d’inhibition. Mais pour déterminer la posologie en clinique, on utilise la pharmacocinétique et la pharmacodynamie (PK/PD). Afin de tuer efficacement et systématiquement un agent pathogène chez un patient sous traitement, la concentration de l’antibiotique doit rester égale ou supérieure à la CMI de l’agent pathogène. Chez un patient la concentration varie, elle grimpe rapidement jusqu’à un sommet, connu sous le nom de concentration maximale dans le sérum (Cmax), puis elle disparaît au bout d’un certain temps. Une deuxième dose est donc nécessaire pour faire remonter la concentration avant qu’elle ne tombe en dessous de la CMI.
On mesure aussi l’aire sous la courbe concentration-temps (AUC) pendant une période donnée (généralement 24 h) pour calculer l’efficacité d’un antibiotique sur un pathogène spécifique.
Les hôtes humains et animaux métabolisent et excrètent l’antibiotique, ce qui réduit la quantité de médicament présente au fil du temps. Dans les environnements naturels où les concentrations d’antibiotiques seront plus variables au fil du temps, il n’y a pas d’optimisation de type PK/PD. Dans un environnement tel que le sol, la dégradation métabolique est plus transitoire que dans les tissus animaux. Par conséquent, les antibiotiques dans les environnements naturels, tels que le sol, peuvent persister beaucoup plus longtemps qu’en utilisation clinique. Des données expérimentales montrent que les antibiotiques dans le sol, l’eau et même les plantes semblent persister bien plus longtemps avant d’être dégradés par des réactions biotiques et abiotiques, principalement par des populations microbiennes. Mais la capacité des microbes à dégrader les antibiotiques environnementaux suggère que ce processus dépend fortement du type et de la taille des communautés microbiennes présentes, ainsi que des conditions abiotiques telles que la température, l’humidité et le pH. Étant donné la dépendance à l’égard de variables aussi diverses et incontrôlées dans l’environnement, la dégradation des antibiotiques est assurément lente et hétérogène. Il y a donc un temps de séjour plus long des antibiotiques dans l’environnement.
La concentration est un autre sujet. Il n’existe pas de données cohérentes sur les concentrations naturelles d’antibiotiques dans l’environnement, mais on peut raisonnablement soupçonner que les concentrations sont beaucoup plus faibles que celles utilisées en clinique. Pour qu’un composé soit fonctionnel en tant qu’antibiotique, c’est-à-dire bactéricide ou bactériostatique, les concentrations dans la nature doivent atteindre ou dépasser la CMI de l’espèce ou de la souche cible. Souvent, la CMI peut être extrêmement basse (<0,016 mg/L ou <0,016 ng/μL). Un seul microbe peut produire une petite quantité d’un composé antimicrobien qui augmente les concentrations au-dessus des CMI dans un espace de la taille d’un microlitre autour de cette cellule particulière. Comme de nombreuses cellules de la population produisent l’antibiotique, la concentration dans l’espace volumétrique autour de cette population augmente.
Néanmoins, les concentrations d’antibiotiques dans les populations naturelles ne sont pas susceptibles d’approcher le même ordre de grandeur qu’en clinique. Prenons l’exemple de la streptomycine : chez les patients atteints de tuberculose, les concentrations sériques cibles sont souvent d’environ 40 μg/mL, soit 160 fois supérieures à la CMI mesurée pour Mycobacterium tuberculosis (et de 2 500 × supérieures à une CMI de 0,016 mg/L). Cette différence de concentration représente un changement radical dans l’ampleur de la sélection, tous les mutants résistants de bas niveau étant impactés de la même manière et au même degré que les clones de type sauvage complètement sensibles.
La conclusion est que les concentrations de composés antibiotiques naturels et leurs effets sont inférieurs de plusieurs ordres de grandeur à ceux utilisés en clinique. De plus, le temps pendant lequel les antibiotiques restent dans les environnements naturels est différent de celui des patients humains. La pharmacodynamie permet non seulement d’optimiser les concentrations maximales, mais aussi de fixer des limites inférieures en dessous desquelles la concentration sérique ne doit pas tomber (la CMI). La sélection des mutations de résistance opère pendant tout temps passé en dessous de ce niveau (hypothèse de la fenêtre de sélection des mutants). Par conséquent, d’un point de vue évolutionniste, la façon dont nous utilisons les antibiotiques est au cœur du problème actuel de la résistance aux antibiotiques et peut être cruciale pour comprendre comment les microbes ont pu utiliser des antibiotiques sur de longues périodes. Dans la situation naturelle décrite, il existe un gradient de concentration dans l’espace, avec des concentrations plus élevées près de la source et des concentrations plus faibles loin de la source. Dans le tableau clinique, le gradient de concentration existe dans le temps, dans un flux constant, cyclique et contrôlé. De plus, les concentrations d’antibiotiques sont à peu près les mêmes partout dans l’hôte à un moment donné. La distinction importante entre les deux réside dans les réponses possibles : un gradient physique, même petit, peut être toléré. En revanche, un flux temporel, en particulier aux concentrations considérées, impacte nécessairement la capacité de survie des microbes, et avec elle, la force et la direction de la sélection.
Note sur l’effet des antibiotiques et les interactions avec les communautés microbiennes. Dans la nature, les antibiotiques peuvent avoir des impacts significatifs sur les interactions entre les espèces et les souches de microbes. Plutôt que d’agir uniquement comme une arme de guerre microbienne, nous savons que les antibiotiques peuvent également fonctionner comme des molécules de signalisation et des modificateurs transcriptionnels. Les composés antibiotiques peuvent également créer des opportunités de mutualismes communautaires avec des souches à la fois résistantes et sensibles, selon le contexte de l’interaction. Cela suggère que les antibiotiques peuvent jouer des rôles importants et complexes dans l’assemblage et la diversité des communautés et implique en outre l’importance des gènes de production et de résistance appariés dans l’écologie microbienne.
De même, les combinaisons d’antibiotiques peuvent augmenter ou diminuer les effets bactériostatiques ou bactéricides, les concentrations au niveau clinique ne sont donc pas le seul moyen d’assurer des effets. Cette gamme d’effets combinatoires augmente le nombre de résultats possibles dans un environnement localisé, car les effets synergiques des antibiotiques peuvent à la fois réduire la probabilité d’évolution de la résistance et élargir la fenêtre de sélection des mutants via des interactions antagonistes.
Passons maintenant à l’échelle. La concentration limitée et la durée inconnue des composés antibiotiques dans les environnements naturels contrastent avec les concentrations constamment élevées requises par la PK/PD. De plus, l’impact de l’utilisation humaine d’antibiotiques est mondial, dans tous les sens du terme.
Chez les patients, les antibiotiques sont conçus pour être distribués dans tout le corps, les systèmes circulatoires facilitant le transport vers les zones infectées. Cette facilité est due en grande partie à la petite taille des molécules antibiotiques et au fait qu’elles ont peu de réactivité croisée avec des molécules en dehors de l’espèce cible. La combinaison de la facilité d’administration et de l’utilisation généralisée d’antibiotiques à large spectre pour traiter de grands groupes d’agents pathogènes suspectés (mais pas nécessairement identifiés) se traduit par l’omniprésence des antibiotiques chez les patients, ce dont nous devons tenir compte.
À plus grande échelle, depuis 1940, les antibiotiques sont devenus un polluant omniprésent dans tous les types d’environnements. Même dans des endroits largement épargnés par l’homme, nous pouvons trouver des composés antibiotiques et, avec eux, des ARG. Ces dernières années, nous avons appris que même de faibles niveaux de pollution par les antibiotiques sélectionnent des niveaux élevés de résistance. De plus, indépendamment du biome ou de sa capacité à éliminer les polluants, l’utilisation mondiale des antibiotiques par l’humanité au niveau industriel a entraîné un flux constant d’antibiotiques dans l’environnement, sans jamais permettre aux systèmes naturels de revenir aux niveaux de référence.
Le résultat de la surproduction et de l’utilisation abusive des antibiotiques par l’humanité, y compris leur présence massive dans l’agriculture et l’élevage, est la transformation d’un produit naturel utilisé à une échelle limitée au sein des communautés microbiennes en une arme biologique de destruction massive envoyée contre les communautés microbiennes de tous types et en tous lieux.
Remarque. Cet abus est à la même échelle que les essais d’armes nucléaires, une autre technologie mal utilisée au milieu du XXe siècle. Bien que l’on pense que la durée attendue de la contamination par les antibiotiques est nettement plus courte que celle des retombées nucléaires, l’impact à long terme sur les communautés microbiennes et les modifications génétiques nécessairement imposées par la sélection pour la résistance par contamination de l’environnement dépasse le calcul. Il est intéressant de noter que, bien que la chronologie des retombées nucléaires et de leur impact soit beaucoup plus longue que celle de la pollution par les antibiotiques dans l’environnement, la pollution par les antibiotiques a déjà duré plus longtemps en termes de générations pour les microbes. Les radionucléides résultant d’explosions expérimentales, tels que le plutonium 239 [demi-vie, 24 000 ans], se dégradent à l’échelle d’environ 1 000 générations humaines. Même si nous considérons que plusieurs demi-vies se sont écoulées pour aboutir à un niveau de pollution nucléaire inférieur, ce temps est encore éclipsé par le nombre de générations microbiennes qui se sont écoulées depuis le début de la production industrielle d’antibiotiques en 1942.
Signalisation
Si la concentration, la durée et l’ampleur de l’utilisation des antibiotiques dans la nature sont si différentes de celles de l’utilisation clinique, il reste à savoir quels besoins ont déterminé l’évolution des antibiotiques naturels et quel est leur rôle dans les milieux naturels. Les réponses sont rares, mais l’hypothèse dominante est qu’ils fonctionnent comme des molécules de signalisation dans les environnements microbiens. De faibles concentrations de composés antibiotiques peuvent agir comme des régulateurs transcriptionnels dans les communautés microbiennes naturelles. Les changements transcriptionnels induits par les composés antibiotiques varient considérablement d’une espèce à l’autre et d’un composé à l’autre.
Dans un milieu naturel, comme le sol, les cellules microbiennes produisent et excrètent l’antibiotique dans l’espace qui les entoure. La concentration est plus élevée à la source et diminue avec l’éloignement des cellules productrices. C’est équivalent à la zone d’inhibition observée pour la première fois par Fleming en 1928. Le test de Kirby-Bauer avec un disque de papier normalisé est basé sur le principe que la circonférence extérieure de la zone d’inhibition est directement liée à la CMI de la souche bactérienne testée, ce qui signifie qu’au bord externe, la concentration de l’antibiotique testé est suffisamment élevée pour arrêter la croissance. Cependant, on peut raisonnablement s’attendre à ce que la diffusion de l’antibiotique se poursuive au-delà de l’anneau extérieur de la zone d’inhibition et continue de diminuer dans l’espace, ce qui pourrait affecter la transcription dans les cellules bactériennes présentes dans cet espace. Comparez cela avec l’approche PK/PD, où l’objectif est de maintenir des concentrations sériques élevées dans l’ensemble du volume pendant une période spécifiée. L’hormèse et l’ensemble des effets des antibiotiques sur les populations microbiennes ne sont pas encore bien compris. Les combinaisons d’antibiotiques peuvent également modifier les effets des composés antibiotiques dans un environnement, ce qui suggère que les concentrations plus faibles trouvées dans la nature pourraient avoir des effets surdimensionnés sur les populations bactériennes en fonction de la totalité des composés présents. De tels effets synergiques ou antagonistes peuvent également éclairer des hypothèses sur les raisons pour lesquelles les microbes produisent et excrètent des composés bactériostatiques et bactéricides, et sur les observations d’antagonisme entre eux et ces différents types de composés.
De plus, la gamme d’environnements naturels chez les animaux hôtes des microbes est large. Considérez, par exemple, les différents environnements possibles pour les « microbiomes intestinaux ». Dans chacun d’entre eux, différentes communautés bactériennes avec des exigences fonctionnelles spécifiques coexistent. De plus, l’impact des antibiotiques sur ces communautés est essentiel à une compréhension complète de l’effet des antibiotiques et de la résistance dans les environnements microbiens naturels. De toute évidence, l’utilisation d’antibiotiques dans les environnements naturels a plus à nous apprendre sur comment et pourquoi ces composés sont utilisés depuis des éons, nous obligeant à réévaluer notre hypothèse selon laquelle le seul but des antibiotiques réside dans l’antagonisme aux microbes.
Réinterpréter les antibiotiques avec la nature comme pierre de rosette
L’utilisation clinique des antibiotiques est basée sur l’hypothèse que les espèces produisant un antibiotique particulier le font dans le but de concurrencer directement d’autres espèces ou souches dans l’environnement naturel. Cette présomption est la même que celle qui sous-tend l’utilisation d’antibiotiques par les humains. Les antibiotiques sont des armes d’antagonisme, produites par un microbe et destinées à en entraver un autre.
Il est intéressant de noter que les humains s’écartent de cette supposition, car l’utilisation thérapeutique des antibiotiques n’est pas majoritaire. Dans les années 1940, il a été observé que le bétail atteignait plus efficacement la taille du marché lorsqu’il recevait de faibles doses d’antibiotiques. Aujourd’hui, nous continuons à utiliser la plupart des antibiotiques produits industriellement non pas pour l’antagonisme microbien en soi, mais plutôt pour accélérer la croissance des animaux, sans tenir compte du mode d’action inconnu ou de ses conséquences.
Étant donné que l’humanité considère de manière incomplète et incohérente les antibiotiques, leur application et leur objectif, une analyse plus complète de leur utilisation dans des conditions façonnées par des forces évolutives et écologiques est justifiée, en particulier compte tenu du succès prolongé de l’utilisation des antibiotiques par les microbes et, plus encore, de la gestion de la résistance aux antibiotiques.
Tout d’abord, nous notons que, dans la nature, la synthèse et la résistance aux antibiotiques sont intimement liées. Des études de résistance naturelle indiquent qu’un ARG est souvent lié aux gènes impliqués dans la biosynthèse de cet antibiotique. Cette association est confirmée dans des échantillons représentant des souches de l’ère pré-antibiotique ainsi que celles provenant d’environnements vierges. L’appariement cohérent de la production d’antibiotiques avec les ARG au sein des groupes monophylétiques, et la présence de tels appariements de résistance sur les plasmides mobiles, suggère fortement que cette connexion signale une caractéristique fondamentale de longue date de l’utilisation des antibiotiques dans la nature.
Les liens phylogénétiques entre les souches et les groupes sont également soutenus par les interactions écologiques entre et au sein de ces groupes. Les communautés microbiennes sont constituées d’espèces en interaction phylogénétiquement apparentées. L’hypothèse sous-jacente à cette observation est que les variables abiotiques dans l’environnement filtrent les membres de la communauté et que les espèces plus étroitement apparentées sont plus susceptibles d’avoir des niches similaires.
Nous proposons une autre hypothèse possible pour ces observations : l’assemblage de la communauté est régi par des filtres biotiques ou, plus exactement, par des filtres antibiotiques autant que par des filtres abiotiques. Cette hypothèse explique le regroupement phylogénétique observé dans les communautés microbiennes à travers un large éventail d’environnements, ainsi que la cohérence des regroupements au niveau taxonomique familial observée dans les communautés. De plus, l’existence de tels mutualismes expliquerait également les observations de résistance aux antibiotiques en tant que phénomène émergent au sein de certaines communautés à la suite d’une action coopérative plutôt que des processus biochimiques au sein de cellules individuelles.
Au fur et à mesure que les communautés microbiennes se développent, des appariements distincts et des interactions symbiotiques sont essentiels. Il est bénéfique pour une espèce de filtrer le bassin de voisins possibles avec lesquels elle interagira afin d’augmenter la probabilité qu’un partenaire bénéfique soit présent, en particulier lorsque des ressources limitées en carbone sont susceptibles d’être utilisées par plus d’un membre de la communauté. En produisant et en sécrétant un antibiotique donné dans l’espace autour de la position du producteur, une espèce peut ne pas tant essayer de nuire à ses concurrents que de réserver de l’espace à des partenaires éprouvés. Nous avons déjà des preuves expérimentales d’interactions communautaire où les antibiotiques jouent un rôle. Les voisins ainsi sélectionnés devront être résistants aux antibiotiques, ce qui est encore plus probable s’ils sont également phylogénétiquement liés au producteur. De plus, en raison de l’appariement des gènes de production d’antibiotiques avec les ARG, le voisin résistant est également susceptible de produire le même composé antibiotique, renforçant ainsi l’effet de criblage et réservant encore plus d’espace à la paire mutualiste pour qu’elle puisse ensuite s’y développer. Une telle dynamique indiquerait que la résistance est précisément le mécanisme qui rend les antibiotiques précieux dans les communautés microbiennes naturelles.
Si la production naturelle d’antibiotiques et la résistance aux antibiotiques sont intimement liées, cela est en opposition avec la présomption que les antibiotiques sont une arme de guerre microbienne. Dans le concept de lutte, la production de plus d’antibiotiques serait bénéfique, semblable à l’approche PK/PD. Ce qui s’apparente à une course aux armements évolutionniste, pourtant le phénomène de la reine rouge n’est pas observé : il n’y a ni d’hyperproducteurs ni des niveaux élevés de résistance.
Une approche légèrement différente, conforme à la théorie des jeux, est qu’une coopération, même limitée, peut être moins coûteuse sur les échelles de temps évolutionnistes. Considérez que la résistance aux antibiotiques est connue pour être coûteuse pour la fitness en général, ce qui fait que les deux côtés de ce jeu de guerre évolutif sont stratégiquement perdants sans une force de compensation cohérente et forte.
Même les souches qui ne sont pas résistantes à un antibiotique particulier peuvent être influencées par de faibles concentrations du composé par des changements transcriptionnels et la régulation des gènes. Les gènes qui sont affectés par la transcription pourraient éventuellement rendre l’espèce plus susceptible de coopérer avec le producteur d’antibiotiques ou, alternativement, moins susceptible d’envahir l’espace du producteur (bactéries spécialistes des bords ?). De telles hypothèses engagent à l’expérimentation.
Cet effet coopératif serait probablement le plus important juste au-delà du bord extérieur d’une zone d’inhibition, où les concentrations sont plus faibles. Il y aurait une question secrète « ami ou ennemi ? » posée à un voisin potentiel par le producteur avant toute interaction directe. Des systèmes similaires sont connus pour exister dans les rétroactions de détection du quorum chez des espèces telles que Clostridioides (anciennement Clostridium) difficile, ce qui suggère que des phénotypes non constitutifs peuvent être induits sur la base d’interactions avec des cellules bactériennes adjacentes. Compte tenu des coûts de la production d’antibiotiques, il ne serait pas étonnant qu’elle soit aussi utile à la détection du quorum dans les cocultures, en particulier comme mécanisme pour limiter les tricheurs sociaux, donc au renforcement et à la stabilité de la communauté.
Cette hypothèse est celle de la « société secrète », où l’on fait confiance aux membres connus, et où les nouveaux membres recrutés subissent l’acquisition d’un phénotype de « bizutage », expliquant aussi que les ARG se situent sur des plasmides échangeables. Les plasmides de l’ère préantibiotique maintenaient souvent une paire producteur-résistance. Cela a peut-être été bénéfique pour augmenter la probabilité qu’une paire de membres d’une communauté prospère redeviennent voisins dans une autre communauté, même s’ils ne sont pas phylogénétiquement liés. Le partage de plasmide serait en somme un rituel initiatique. Une étude récente a montré une probabilité accrue de persistance plasmidique avec un nombre croissant de souches dans une communauté. Un système similaire existe dans les plasmides colicinogènes de certaines souches d’Escherichia coli, où l’opéron de la colicine, contenant un gène codant pour la colicine (cxa), est regroupé avec le gène codant pour l’immunité (cxi ou imX). Le transfert de plasmides est également affecté par la concentration d’antibiotiques, suggérant à nouveau que les antibiotiques ont longtemps été liés à la structure et à la composition des communautés microbiennes.
Si le système des sociétés secrètes a été une force sélective dominante dans l’évolution et le maintien des antibiotiques à l’ère pré-antibiotique, alors les changements dans l’ampleur, la fréquence et la diversité des antibiotiques après 1940 auraient probablement provoqué un changement conséquent d’un équilibre production-résistance en faveur d’une stratégie évolutionniste dominée par la résistance. Nous observons exactement un tel signal lorsque nous comparons les niveaux de résistance dans les collections de l’ère pré-antibiotique aux souches modernes de bactéries en circulation. Nous observons également une telle cooptation de plasmides existants dans l’environnement. De telles preuves nous obligent à envisager que la propension à donner un plasmide contenant une paire production-résistance ait été majorée par des bactéries à l’aube de l’ère des antibiotiques, sous l’impulsion de la sélection, comme mesure de survie aux fortes concentrations d’antibiotiques produits industriellement.
Les fantômes des résistomes
Dans un tel système de société secrète, les violations et ruptures d’appariement seraient probablement déjà fixées au sein des populations concernées. Cela conduit à considérer quelles signatures potentielles du système apparié pourraient exister au-delà de celles déjà mentionnées.
La question préoccupante est de savoir si des appariements rompus dans le passé auraient pu conduire à la fixation d’ARG, ce qui aurait à son tour conduit à la perte éventuelle de gènes de synthèse pour ces antibiotiques naturels spécifiques. Si des antibiotiques avaient été utilisés dans le passé non pas de manière appariée, mais plutôt comme un moyen de tuer les concurrents, comme on l’a longtemps présumé, alors la résistance à de tels antibiotique serait très bénéfique pour la fitness. La fréquence des porteurs de résistance augmenterait et se fixerait au fil du temps, rendant l’antibiotique inutile. La capacité de synthétiser l’antibiotique serait vraisemblablement perdue par sélection au fil du temps. Comment, alors, avancer l’hypothèse de la société secrète sans être en mesure de savoir si des événements aussi simples se sont produits dans un passé lointain ?
Une approche serait de rechercher des échos de sélection à partir d’appariements lointains dans des composés antibiotiques naturels actuels. Plus précisément, nous pouvons examiner la demi-vie des antibiotiques naturels pour comprendre à quelle vitesse ils se dégradent et utiliser ces données pour éclairer une hypothèse nulle. Il y a trois scénarios possibles : les antibiotiques naturels existants pourraient avoir une demi-vie plus longue que d’autres composés, tels que les molécules de signalisation ; ils pourraient avoir une demi-vie plus courte ; ou ils pourraient en avoir une identique à celle d’autres composés extracellulaires synthétisés.
Si les antibiotiques naturels avaient une demi-vie comparable, nous n’avons pas beaucoup de nouvelles informations. S’ils ont une demi-vie plus courte, cela implique que les antibiotiques naturels sont incapables de s’accumuler dans l’environnement, ce qui rend faible la probabilité d’une sélection incontrôlée pour la résistance.
Cependant, si la demi-vie des antibiotiques naturels dans l’environnement est longue, la sélection pour la résistance plus probable. Si cela s’était produit il y a longtemps, nous aurions perdu tout signal, car les allèles de résistance se seraient peut-être fixés avant même que nous connaissions l’existence des microbes. Par conséquent, nous pensons que les antibiotiques naturels ont une demi-vie plus courte que la plupart des autres composés extracellulaires produits naturellement, car nous pouvons encore en trouver une telle diversité dans les communautés microbiennes. Une telle approche mérite d’être explorée expérimentalement.
Conclusion et perspectives d’avenir
Pour avoir un espoir de contrer l’augmentation des infections résistantes aux antibiotiques, nous devrons mieux en comprendre la source, l’impact et les implications. Alors que l’inquiétude concernant les taux d’infection est une question biomédicale, la résistance est le résultat de processus évolutifs. Ici, nous soutenons qu’il faut en outre la vaste dimension écologique.
Nous avons commencé par nous demander pourquoi les antibiotiques existent, étant donné que la résistance est permanente depuis le début de leur utilisation. Les antibiotiques ne sont pas nouveaux, ls sont plus anciens que l’espèce humaine. Pourtant, au cours d’une seule vie humaine, de nombreux antibiotiques sont devenus inefficaces. Fléau de notre époque. Pour comprendre ce changement radical, nous nous penchons sur l’histoire biologique de ces métabolites microbiens secondaires pour trouver d’éventuels moyens de préserver leur utilisation.
La plus grande différence entre l’utilisation naturelle historique des antibiotiques et leur objectif thérapeutique actuel l’absence de la notion de contrebalance entre production et résistance. La séparation de ces jumeaux écologiquement siamois ont mis leurs trajectoires sur des chemins différents, et finalement dangereux. La concentration, la durée et l’échelle de l’utilisation humaine ont créé une puissante sélection artificielle pour la résistance aux antibiotiques à des niveaux et des fréquences anormalement élevés. L’évolution vers la résistance dans cette utilisation clinique est, littéralement, une stratégie obligatoire de survie pour les microbes.
Les données recueillies au fil des décennies suggèrent que les phénotypes de production d’antibiotiques ont été largement associés à des phénotypes complémentaires de résistance aux antibiotiques. Une appariement similaire se trouve dans d’autres systèmes de toxines microbiennes, tels que dans les colicines. Le signal de la nature à cet égard semble clair : produire un antibiotique n’a pas beaucoup de sens sans produire également une résistance. Les systèmes horizontaux de transfert de gènes, en particulier les plasmides, renforcent cette conclusion, mais le nombre et le type de ces plasmides suggèrent que les antibiotiques jouent un rôle plus important qu’une simple arme de guerre entre les microbes. Nous suggérons que ce rôle plus large est celui de la coopération mutualiste, particulièrement important dans l’établissement et le maintien des communautés microbiennes.
Les interactions bénéfiques dans une communauté peuvent devenir plus probables dans d’autres communautés si les interacteurs sont tous les deux présents dans la nouvelle communauté. Mais nous ne comprenons pas encore bien comment ces interactions coopératives commencent. L’utilisation d’antibiotiques telle que décrite ici peut offrir des informations supplémentaires dans ce domaine. De nouvelles interactions bénéfiques peuvent être renforcées et même réciproques par la production d’un antibiotique par l’un ou les deux participants. De plus, l’échange de gènes de production et de résistance aux antibiotiques pourrait cimenter une relation pour de futures interactions. L’importance de ces mutualismes peut être intensifiée compte tenu de la composition spatiale structurée des communautés microbiennes, comme dans les biofilms, ainsi que du nombre et des types de producteurs présents.
Cette combinaison de niveaux de production et de résistance a peut-être été le principal moyen de maintenance sur des millions de générations de microbes. Ni les quantités de production ni les niveaux de résistance n’ont subi de pression de sélection directionnelle pour augmenter ou diminuer, car il y aurait des coûts de fitness importants sans aucun avantage obtenu. De plus, si une coopération donnée était bénéfique pour la communauté, cette interaction serait choisie dans les conditions rencontrées. En d’autres termes, il existerait une sélection pour maintenir un équilibre entre la production d’antibiotiques et la résistance.
Les humains ont brisé ce contrat social microbien en transformant les antibiotiques en une arme biologique de destruction massive. Ce faisant, nous avons créé une sélection puissante pour des niveaux de résistance de plus en plus élevés. Perdre la capacité de le contrôler ou de le manipuler était inévitable, voire prévisible.
Nous avons émis l’hypothèse que la résistance aux antibiotiques n’est pas une réaction évolutive à la guerre antibiotique, mais plutôt une composante d’un mécanisme d’assemblage des communautés microbiennes. Cette hypothèse peut être étudiée expérimentalement. Une telle série d’expériences continuerait à mettre en lumière non seulement le mécanisme et le rôle des antibiotiques dans les systèmes naturels à l’ère pré-antibiotique, mais aussi leur importance dans un contexte écologique. Enfin, en comprenant comment l’association de la production d’antibiotiques et de la résistance peut atteindre et maintenir un équilibre, nous pourrions étudier des stratégies ayant un impact sur la santé humaine pour les vies à venir.
Traduction de Luc Perino
Spagnolo F, Trujillo M, Dennehy JJ
Why do antibiotics exist ?
ASM Journals mBio Vol 12 No 6
DOI : 10.1128/mBio.01966-21
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Depuis quelques années, le problème de l'antibiorésistance, les progrès de la génomique, la redécouverte du microbiote et la prise en charge de maladies au long cours, nécessitent l'introduction d'une pensée évolutionniste dans la réflexion clinique.
Le premier diplôme universitaire intitulé "Biologie de l'évolution et médecine" a été mis en place à la faculté de Lyon en 2016.
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L'inquiétude du médecin est de passer à côté du diagnostic par absence d'examens complémentaires plutôt que par absence d'écoute. Le paradoxe est que la plainte se fonde à peu près toujours sur l'absence d'écoute, rarement sur l'absence d'examens complémentaires.
― Didier Sicard