humeur du 13/02/2013
Les centres anti-douleur ont été créés dans les années 1970. L'algologie devint alors une nouvelle spécialité de la médecine.
On reprochait aux médecins de sous-estimer la douleur de leurs patients et surtout d'hésiter à prescrire de la morphine dans les douleurs aiguës et terminales. C'était en partie vrai. Ils se sont bien rattrapés depuis, puisque les ventes de morphine ont dépassé toutes les prévisions, surtout hors phase terminale, provoquant alors des problèmes majeurs d'addiction.
Mais les promoteurs s'intéressaient aux douleurs chroniques, beaucoup plus fréquentes. Dès leur origine, ces centres ont réuni divers spécialistes : neurologues, rhumatologues, psychologues, kinés, hypnotiseurs, acupuncteurs, travailleurs sociaux. On avait déjà bien compris le caractère plurifactoriel de la douleur. En gros, on voulait faire de la médecine générale, ce qui était plutôt une bonne idée.
L'autre bonne intention de départ fut de promouvoir l’empathie en ayant recours aux thérapeutiques physiques et au soutien psychologique. Mais très vite, comme toujours dans les innovations sous tutelle, ces centres devinrent des placards à pharmacie. Bien que la neurostimulation, la relaxation et l'hypnose continuent à être mises en exergue, presque tous les patients sortent de ces centres avec un antidépresseur, un antiépileptique GABA-mimétique, voire une benzodiazépine, drogues dont ils ne pourront plus se passer.
Ne critiquons pas les méthodes sans avoir examiné les résultats. Ceux-ci nous sont fournis par la Société Française d'Étude et de Traitement de la Douleur qui est le principal partenaire de ces centres. Cette SFETD affirme qu'il y a vingt millions de douleurs chroniques en France…
Avoir pris la douleur en charge pour se retrouver quarante ans plus tard avec la moitié de la population adulte se plaignant toujours d'une douleur chronique. Ce n'est plus un échec, c'est un fiasco. À moins que ce chiffre ne soit un nouvel artifice de communication pour alerter sur la douleur encore trop négligée !
Il semblerait donc que la douleur soit un nouvel avatar de l'inflation médicale.
Les plus attentifs des cliniciens savent que la douleur participe d’une souffrance encore plus vaste et plurifactorielle que ces centres d’algologie ne l’avaient supputé.
Alain Froment, le meilleur épistémologiste de la médecine depuis Canguilhem, disait qu’il eut mieux valu reprocher aux médecins d’avoir négligé la souffrance que d’avoir négligé la douleur…
Pourvu que personne n’ait l’idée de créer de centre anti-souffrance !
Oxycontin's deception costs firm $634M
CBS news. 10 mai 2007
Dhalla I.A. , Persaud N., Juurlink D.N.
Facing up to the prescription opioid crisis
BMJ, 343, 5142, 2011.
DOI : http://dx.doi.org/10.1136/bmj.d5142
Froment Alain
Maladie, donner un sens.
Editions des archives contemporaines, 2001, p 200
SFETD, (Alain Serrie)
Les centres d'évaluation et de traitement de la douleur en France
Bulletin de la Fondation APICIL, N°3, sept-oct 2009, p 1
Van Zee A
The Promotion and Marketing of OxyContin: Commercial Triumph, Public Health Tragedy
Am J Public Health. 2009 February; 99(2): 221–227
DOI : 10.2105/AJPH.2007.131714
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