humeur du 21/03/2012
      Dans  l’antiquité,  le diagnostic avait une  valeur divinatoire qui donnait un sens à la mort. Puisque l’on pouvait mourir  de tout, il était réconfortant de savoir que l’on n’allait pas mourir de rien.
        Puis les médecins hippocratiques et leurs successeurs romains et arabes ont décrit et  nommé les maladies avec une précision qui nous étonne encore aujourd’hui. Ces  diagnostics avaient la beauté d’un art qui faisait pardonner au médecin son absence  totale  d’impact sur les destinées  biologiques et médicales. 
      
        Cet art a progressivement  acquis une minutie confinant presque à l’obsession au siècle des Lumières où  la  «nosologie méthodique »  recensait 10 classes, 44 ordres, 315 genres et 2400 espèces de maladies.  Les patients mouraient toujours, faute de  traitement, mais réconfortés de savoir que leur médecin était aussi savant  qu’un entomologiste.  
      
Puis avec la méthode anatomo-clinique, le diagnostic est devenu très médical et très exact.  Les patients mourraient sans soins, mais avec des certitudes.  N’était-ce pas là une part de l’idéal que  tant de religions cherchaient depuis si longtemps ? 
      
        Puis la  libération de la chirurgie par l’anesthésie générale, la révolution pastorienne  et quelques miracles comme celui de l’insuline, ont brutalement rompu cette  harmonie lascive. On vit naître deux types de diagnostics. D’un côté, les  triviaux, techniques et fats, débouchant sur des actions thérapeutiques capables  d’éloigner la mort. De l’autre les nobles, inutiles  et élégants perpétuant l’art médical en  maintenant l’ignorance des choses de la vie.
      
Enfin, la société marchande a totalement fait disparaître l’inertie thérapeutique. Il n’y eut plus aucun diagnostic sans action médicale immédiate. Même s’il persistait çà et là quelques vacuités nosographiques, la « natura medicatrix » d’Hippocrate n’avait plus droit de cité. Bel adage pour le marché : « Même si le patient n’a rien, on peut toujours faire quelque chose ».
        Aujourd’hui, la tendance s’est complètement inversée. Ce sont les traitements qui précèdent les  diagnostics. Lorsque la pharmacologie découvre une synapse ou un gène, elle en  cherche les porteurs fragiles. La statistique révèle que ces porteurs sont plus  nombreux que ni médecins ni patients ne l’imaginaient. Il ne reste plus qu’à  trouver le nom de la maladie qui caractérise cette fragilité synaptique ou  génétique.
      
On accuse alors  les médecins de mollesse diagnostique, comme on leur reprochait avant leur  inertie thérapeutique. Pour y remédier, il suffit de trouver un test qui fait  le diagnostic directement sur le gène ou sur la synapse et l’indolence du  diagnostic disparaît sous la science exacte. 
        
        Ainsi, malgré  cette inversion de la pratique médicale, l’erreur historique n’a pas été  reproduite. Alors que l’art diagnostique avait été choyé et promu au détriment  de la thérapeutique, le nouvel art thérapeutique a su entraîner le diagnostic  dans son sillage. Réjouissons-nous-en.
      
        Le CIM compte désormais  plus de maladies que n’en comptait la nosologie méthodique des Lumières. Le  déficit cognitif léger lié à l’âge est promis à un bel avenir, le trouble  psychotique léger s’apprête à faire son apparition dans le DSM V. Il existe  aussi de plus en plus de cancers légers que l’on guérit très longtemps avant  qu’ils n’apparaissent. 
        Rien ne semble  devoir arrêter ce nouvel engouement pour le diagnostic. 
      
La prééminence du diagnostic nous permettait de mourir avec des certitudes, la nouvelle prééminence de la thérapeutique nous permet d’avoir ces certitudes beaucoup plus tôt.
Boissier De Sauvages François
Nosologie méthodique ou distribution des maladies en classes, en genres et en espèces suivant l'esprit de Sydenham et la méthode des botanistes
Lyon, Bruyset, 1772, 10 volumes 
  
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