dernière mise à jour le 12/07/2014
Si on posait la question suivante aux meilleurs écologistes actuels dans le monde : pensez-vous qu'il soit possible que dans nos études sur les écosystèmes nous soyons passés à côté d’une variable capable d'influencer les aptitudes des individus et des espèces, leur vulnérabilité aux parasites et/ou aux prédateurs, ou encore leur capacité à se disperser ? Ils répondraient sans doute : non c'est impossible ! Et pourtant c'est probablement le cas du cancer, ou plutôt des processus oncogéniques dans leur ensemble (continuum allant des lésions précancéreuses à la maladie métastatique) qui touchent la plupart des métazoaires depuis que la multicellularité est apparue il y a plus de 500 millions d'années.
Pourquoi avons-nous jusqu'à présent « ignoré » cette variable ? C'est un peu comme avec les parasites il y a quelques années, ils étaient ignorés par la majorité des écologistes car souvent invisibles en l’absence d’outils appropriés pour les observer et les étudier. Toutefois, depuis que nous utilisons les outils adéquats, on s'aperçoit que le rôle des parasites est capital dans le fonctionnement des écosystèmes et sur l'évolution de nombreux traits chez les organismes libres. Les processus oncogéniques sont très probablement dans le même cas de figure.
L'erreur commise vis-à-vis d’eux a été de focaliser notre regard seulement sur leurs stades avancés, les cancers à proprement parler, mais ces stades ne constituent que la partie émergée de l'iceberg et, pour de multiples raisons, ils sont rarement observés dans la nature. Car les individus développant un cancer sont souvent dévorés par un prédateur à des stades très précoces de la maladie du fait de leur affaiblissement. On ne verra donc que très rarement des individus avec un cancer avancé. Pourtant la maladie aura bel et bien joué un rôle écologique en amont en favorisant à un moment donné la prédation de l’individu porteur de tumeurs.
Par ailleurs, fait important, il faut être conscient que la majorité, si ce n’est la totalité, des métazoaires (l’homme compris) développe et accumule au cours de leur vie des tumeurs plus ou moins graves, et nous n'avons à l'heure actuelle aucune idée de l'incidence de ce phénomène sur des traits qui touchent à la santé et la vigueur des individus, et qui pourraient ainsi influencer la variabilité interindividuelle en général. Lorsqu'il s'agit de tumeurs graves qui aboutiront à la mort de l'individu qui les porte, ces développements peuvent mettre des semaines, des mois ou des années en fonction des espèces et des organes, et affecter pendant ces périodes plus ou moins longues de nombreux traits écologiquement pertinents (compétition, prédation, parasitisme...).
Important aussi : même quand il n’y a pas de cancer, il est pertinent de considérer le cancer ! Car il est très improbable que l'élimination ou la « gestion » des cellules cancéreuses qui apparaissent spontanément de façon naturelle ou artificielle soit gratuite pour l'organisme (on sait par exemple qu'il est coûteux de faire fonctionner le système immunitaire, et que ces coûts se répercutent sur d'autres traits à cause des compromis permanents au sein de notre fonctionnement biologique). Dans ce cadre il apparait judicieux de considérer les processus oncogéniques dans leur ensemble et d'étudier comment ces continuums omniprésents dans le monde des multicellulaires interfèrent avec les interactions biotiques qui régissent les écosystèmes (prédation, parasitisme, compétition etc...).
Le cancer doit être considéré comme une variable à part entière dans le fonctionnement des écosystèmes, il est même possible qu'il ait pour conséquence un effet positif sur le maintien de la biodiversité aux travers des effets complexes qu’il entretient avec les interactions biotiques. De plus, ces effets sont réciproques : par exemple, si les oncogènes favorisent la prédation chez les espèces proies, la prédation agit en retour sur la fréquence des oncogènes en éliminant de façon différentielle les individus proies qui les portent.
Cette thématique de recherche est totalement vierge à l’heure actuelle et s’annonce passionnante notamment parce qu’elle impliquera des recherches en collaboration avec des scientifiques issus de différentes disciplines (médecins, vétérinaires, écologistes, évolutionnistes …). A côté de ces conséquences écologiques insoupçonnées, il est probable que l’on sous-estime aussi fortement la palette des adaptations des espèces sauvages vis-à-vis du risque cancéreux, notamment les adaptations comportementales.
Le cancer, lorsqu’on le considère non pas sur des animaux de laboratoire mais au sein des écosystèmes naturels, est une maladie qui peut entrainer la mort de façon précoce, à cause notamment de la plus grande vulnérabilité des individus concernés vis-à-vis des prédateurs et/ou des infections. Ainsi, les interactions biotiques vont en quelque sorte augmenter la gravité des processus oncogéniques, rendant fatales à court termes des manifestations cellulaires que l’on pourrait croire bénignes sur le long terme avec une vision de laboratoire. Il y a alors une prise possible, pour la sélection naturelle et pour l’évolution, d’adaptations comportementales pouvant diminuer les risques associés aux processus oncogéniques.
Parmi les pistes prometteuses à explorer, il pourrait exister des comportements d’évitements d’individus porteurs de pathogènes oncogènes ou de cancers contagieux (voir par exemple le cas des Diables de Tasmanie), des évitements d’habitats riches en mutagènes (liés à la radioactivité naturelle par exemple) ou encore de l’automédication. On s’aperçoit aussi que ces comportements, s’ils peuvent en théorie limiter les impacts négatifs des développements oncogéniques sur la valeur sélective, ne contribueraient pas à l’élimination des gènes responsables des déraillements cellulaires précoces qui peuvent aboutir à des tumeurs, au contraire ils auraient tendance à les rendre neutres en corrigeant leurs effets négatifs. Quelle serait alors la contribution de ces comportements au maintien des oncogènes sur des temps évolutifs ?
Encore une question à laquelle il n’existe actuellement pas de réponse.
Vittecoq M,, B.Roche, S.P.Daoust, H.Ducasse1,D. Missé, J.Abadie, S.Labrut, F.Renaud, M.Gauthier-Clerc, F.Thomas.
Cancer: a missing link in ecosystem functioning?
Trends in ecology and evolution, Volume 28, Issue 11, 628-635, 21 August 2013
Depuis quelques années, le problème de l'antibiorésistance, les progrès de la génomique, la redécouverte du microbiote et la prise en charge de maladies au long cours, nécessitent l'introduction d'une pensée évolutionniste dans la réflexion clinique.
Le premier diplôme universitaire intitulé "Biologie de l'évolution et médecine" a été mis en place à la faculté de Lyon. Voir ICI
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