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Cruauté des chiffres de la psychiatrie

humeur du 08/05/2022

L’épidémiologie est cruelle pour les psychiatres, ce qui peut expliquer qu’ils ne soient pas férus de chiffres

En Europe, 10% des enfants et 25% des adultes ont un trouble mental. Ces chiffres faramineux peuvent résulter d’une inflation des diagnostics et de modifications sociales. Deux explications qui ne suffisent pas à dédouaner les psychiatres, responsables, au moins, des diagnostics, au mieux, de la prévention.

Les malades mentaux ont une mortalité multipliée par deux, leur perte d’espérance de vie était d’environ 11 ans en 1995, elle est de 14 ans aujourd’hui.

Ne jetons pas trop vite la pierre aux psychiatres, car le recours aux services de santé mentale après diagnostic n’est que de 2% à 18% selon le niveau économique des pays, et de 11% à 60% en cas de grave pathologie.

En revanche, on peut parler d’échec global de la psychiatrie publique face à cette effroyable prévalence des troubles mentaux.

Les abus sexuels dans l’enfance concernent 15 % des filles et 4 % des garçons. Leurs répercussions expliquent une bonne part de cette prévalence. De la même façon, les dépressions et troubles psychiques de la grossesse et du post-partum n’ont pas diminué en 30 ans ; leur répercussion sur la progéniture en explique une autre part. La consommation de cannabis est un facteur de recrudescence des psychoses. Enfin, la prévalence des maladies psychiatriques est fortement corrélée aux inégalités sociales. 

Ces réalités sociétales peuvent-elles servir d’excuse aux psychiatres face au déplorable bilan de leur discipline ? Certes, leur inaptitude à prévenir la maltraitance infantile et les inégalités sociales est partagée par toutes les professions médicales et sociales et leurs administrations.

Cependant, le suicide, unanimement considéré comme signe d’échec en psychiatrie, augmente régulièrement, indépendamment du budget et des effectifs de la psychiatrie. Les troubles psychiatriques n’ont pas diminué malgré la prescription massive de neuroleptiques et autres psychotropes. Curieusement, les institutions psychiatriques n’adoucissent pas les inégalités sociales, comme le montre l’exemple italien. Dans ce pays où la « loi 180 » a conduit à la fermeture de la moitié des hôpitaux psychiatriques, la corrélation entre inégalités sociales et troubles mentaux est la plus faible d’Europe. En psychiatrie, les soins communautaires seraient donc meilleurs que les soins hospitaliers.

Supérieurs ou non, les soins communautaires sont, pour le moins, cacophoniques.  On dénombre plus de 400 professions se réclamant de la psychothérapie, des plus sérieuses aux plus fantaisistes, des plus lucratives aux plus compassionnelles. Le nombre de soignants approche celui des soignés, au grand dam des psychiatres qui se plaignent toujours de leur manque d’effectif.

Conclusion triviale et provisoire : notre cerveau a réussi à comprendre les muscles, le cœur et les reins, mais il ne peut logiquement se « comprendre » lui-même, au sens strictement physique du terme.

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La phrase biomédicale aléatoire

Le clinicien n’est ni un vieux nostalgique, ni un attardé technologique, ni un passéiste de la médecine, ni un pessimiste, bien au contraire, il est le meilleur promoteur de la biologie d’homo sapiens.
Aujourd’hui, nous traversons un cap difficile pour les médecins, pour les patients et pour la sérénité de leurs relations. Quoiqu’il advienne, la variabilité individuelle ne cessera jamais comme elle n’a jamais cessé depuis le premier jour de l’évolution des êtres vivants. Les patients auront toujours besoin de rassembler les morceaux de leur identité perdue dans les parcelles de la science et les labyrinthes de la technique. Ils demanderont toujours à être protégés des griffes du marché et de la prédation des sectes. Ils chercheront toujours éperdument leur rationalité individuelle. Seul le clinicien peut les y aider.
― Luc Perino

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