lucperino.com

Phrénologies du futur

humeur du 21/09/2025

La médecine a longtemps été une pratique incantatoire. Puis, au début du XIXème siècle, des praticiens moins obscurantistes ont eu l’idée d’autopsier leurs patients pour établir un rapport entre les lésions du cadavre et les symptômes observés de son vivant. Cette méthode dite « anatomoclinique » a inauguré la médecine moderne. Certes, les patients mouraient toujours sans savoir pourquoi, mais les médecins le savaient enfin.

Aujourd’hui, la technologie (imagerie, microscopie, biologie, sérologie ou génétique) permet de faire les diagnostics bien longtemps avant la mort. Les patients savent, eux aussi, de quoi ils vont mourir. Néanmoins, l’obscurantisme n’a pas disparu, car le délai entre l’instant du diagnostic et l’instant fatal est encore sujet à nombre d’hypothèses saugrenues englobées sous le terme flatteur d’ « art médical ». Si chacun considère désormais le diagnostic comme une science, les pratiques qu’il suscite relèvent plus souvent d’art, d’artisanat, de divinations, de mercatique ou autres incantations, que de science exacte.

Par ailleurs, certains processus pathologiques échappent encore au concept anatomoclinique ; vous l’aurez deviné, ce sont majoritairement les processus des troubles mentaux. Les médecins préfèrent parler de « troubles » que de maladies tant qu’ils n’ont pas trouvé de « signature » radiologique, endoscopique, métabolique ou génétique, ni du vivant du patient, ni après sa mort. Ces troubles sont un véritable casse-tête pour les médecins (si l’on peut s’exprimer ainsi), mais on a pris l’habitude de les leur confier malgré tout.

Les médecins se sont alors acharnés à trouver des « signatures » ou « marqueurs », tels que déficit hormonal de dépression, encéphalogramme de schizophrénie, gène d’autisme, métabolisme de maladie bipolaire, synapses d’hyperactivité ; sans trop de succès jusqu’à présent. Faute de diagnostic, ils ont inventé des « échelles » d’évaluation pour les troubles de l’humeur et du comportement.

La phrénologie (science des formes du crâne) a été la première tentative d’anatomie des troubles mentaux. Lombroso l’a utilisée pour diagnostiquer l’instinct criminel. Après lui les généticiens ont déjà déniché trois gènes de la délinquance. Plus récemment on a établi un rapport entre des images cérébrales et le « trouble pédophile » ou entre l’électricité de la rétine et plusieurs troubles psychiatriques dont la schizophrénie, les addictions et l’hyperactivité. L’intelligence artificielle a même établi des corrélations entre des caractéristiques vocales et la dépression. Ceci n’étant qu’un bref aperçu de cette nouvelle imagination anatomoclinique.

Les meilleurs cliniciens de demain devront-ils rompre avec ce paradigme pour protéger leurs patients ? Tant d’examens sont déjà inutiles et anxiogènes. Demain, il sera préférable de s’abstenir de pires pour éviter des prophéties médicales auto-réalisatrices de dépression, de délinquance ou de pédophilie...   

 

Bibliographie

Abé C, Adebahr R, Liberg B, Mannfolk C, Lebedev A, Eriksson J, Långström N, Rahm C
Brain structure and clinical profile point to neurodevelopmental factors involved in pedophilic disorder
Acta Psychiatr Scand 2021 Apr 143 4 363 374
DOI : 10.1111/acps.13273

Cesare Lombroso
L'homme criminel - Etude anthropologique et psychiatrique
Félix Alcan éditeur, 1887

Fergusson DM, Boden JM, Horwood LJ, Miller A, Kennedy MA
Moderating role of the MAOA genotype in antisocial behaviour
Br J Psychiatry 2012 200 2 116 123
DOI : 10.1192/bjp.bp.111.093328

Langley K, Heron J, O'Donovan MC, Owen MJ, Thapar A
Genotype link with extreme antisocial behavior: the contribution of cognitive pathways
Arch Gen Psychiatry 2010 67 12 1317 1323
DOI : 10.1001/archgenpsychiatry.2010.163

Mazur A, Costantino H, Tom P, Wilson MP, Thompson RG
Evaluation of an AI-Based Voice Biomarker Tool to Detect Signals Consistent With Moderate to Severe Depression
Ann Fam Med. 2025 Jan 27;23(1):60-65
DOI : 10.1370/afm.240091

Tiihonen J, Rautiainen MR, Ollila HM, Repo-tiihonen E, Virkkunen M, Palotie A, Pietilainen O, Kristiansson K, Joukamaa M, Lauerma H, Saarela J, Tyni S, Vartiainen H, Paananen J, Goldman D, Paunio T
Genetic background of extreme violent behavior
Mol Psychiatry. 2015 Jun;20(6):786-92
DOI : 10.1038/mp.2014.130

Youssef P, Nath S, Chaimowitz GA, Prat SS
Electroretinography in psychiatry. A systematic literature review
Eur Psychiatry 2019 Oct 62 97 106
DOI : 10.1016/j.eurpsy.2019.09.006

Profil de nos 5000 abonnés

Par catégorie professionnelle
Médecins 27%
Professions de santé 33%
Sciences de la vie et de la terre 8%
Sciences humaines et sociales 12%
Autres sciences et techniques 4%
Administration, services et tertiaires 11%
Economie, commerce, industrie 1%
Médias et communication 3%
Art et artisanat 1%
Par tranches d'âge
Plus de 70 ans 14%
de 50 à 70 ans 53%
de 30 à 50 ans 29%
moins de 30 ans  4%
Par motivation
Patients 5%
Proche ou association de patients 3%
Thèse ou études en cours 4%
Intérêt professionnel 65%
Simple curiosité 23%

Vous aimerez aussi ces humeurs...

La mort dans le P.I.B. - D’après le CNPS, la santé représente 11% du PIB. Diverses études de caisses d'assurance [...]

Contorsions neurologiques et psychiatriques - En 1968, la neurologie et la psychiatrie ont été séparées, car l'une répondait au modèle [...]

Les analyses du Petit Prince - Dans le livre universel de Saint-Exupéry, le petit prince rencontre un marchand de pilules [...]

Tabac par tous les bouts - L’histoire du marketing du tabac est insolite. Importé du Nouveau Monde, il a été utilisé [...]

stress et cancer - On dit qu’un évènement est traumatisant, stressant ou stresseur quand il déclenche un [...]

La phrase biomédicale aléatoire

Travailler suppose d'en passer par des chemins qui s'écartent des prescriptions. Comme ces prescriptions ont en général un caractère normatif, bien travailler c'est toujours faire des infractions.
― Christophe Dejours

Vous aimerez aussi...

Le volume de notre cerveau a diminué - Quand et pourquoi la taille du cerveau humain a-t-elle diminué ? Nouvelle analyse des points de [...]

Longévité des mammifères : gros cerveau et gènes de l’immunité - Pourquoi les chats vivent-ils généralement plus longtemps que les chiens ? De nouvelles [...]

Rôle du microbiote dans la réponse aux vaccinations - L’analyse biologique de l’immunité au vaccin trivalent inactivé de la grippe chez l'homme a [...]

Le comportement social modifie l'évolution du cancer chez les mouches - Il semble que les mouches cancéreuses se regroupent pour mieux lutter contre la maladie qui les [...]

Le gène de la famine - Le gène du récepteur de l'hormone de croissance (HGH) pourrait avoir aidé les premiers humains [...]

Haut de page