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Alloparentalité et théorie de l'esprit.

dernière mise à jour le 03/11/2014

Les mères et les autres : origines évolutionnistes de la compréhension mutuelle.
Abstract du livre de Sarah Blaffer Hrdy.

 

La question de base de cet ouvrage est : qu’est-ce qui explique la capacité humaine unique de lire dans l’esprit des autres ? Sa réponse est que les humains sont élevés dans la coopération. D’une part, les bébés humains ont développé une capacité unique d'engager les adultes à prendre soin d'eux, d’autre part, les adultes, parents biologiques, et « alloparents » (non biologiques) sont programmés pour des soins extensifs et partagés, et pour l'approvisionnement de la progéniture. L'interaction entre l'appel à prodiguer des soins et l’engagement à les dispenser est à la base de la théorie de l’esprit.
Le livre en apporte des arguments impressionnants et solides. Contrairement à d'autres singes, les humains sont des éleveurs coopératifs et les preuves en sont fournies par la génétique, l'endocrinologie, la paléontologie des fossiles, la primatologie, la psychologie comparée et celle du développement, la recherche anthropologique sur les sociétés actuelles de chasseurs- cueilleurs, l'histoire, et même la sociologie.


L’auteure démystifie un certain nombre d'hypothèses qui prévalent, soit en anthropologie (par exemple, la prévalence de la résidence patrilocale et le rôle organisationnel de l'héritage patrilinéaire dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs), soit dans certaines théories de l'évolution (par exemple le pacte de chasse ou le contrat sexuel).

Alors que les bébés humains sont en compétition pour les soins, les adultes sont uniformément programmés pour le partage de la nourriture et les soins à la progéniture. Non seulement le partage de nourriture est quasi inexistant chez les grands singes (chimpanzés, bonobos, orangs outans et gorilles), mais aussi le recours exclusif à des soins maternels chez les autres singes n’est pas négociable : la séparation de sa mère conduit presque inévitablement à la mort de l'enfant. La confiance en la bienveillance des autres est une caractéristique unique de la cognition humaine : une mère humaine ne s’engagerait jamais dans l'élevage coopératif et le partage des soins de sa progéniture sans une totale confiance dans les membres de son groupe.

L’inexpérience des jeunes mères est une cause importante de décès de nourrissons chez les primates, il y a donc une concurrence entre les jeunes parents pour la survie des nouveau-nés. L’élevage coopératif explique deux réalités. D'une part, les bébés humains sont plus vulnérables, prennent plus de temps pour arriver à maturité, et sont plus coûteux à nourrir que les autres primates. D'autre part, les mères de chasseurs-cueilleurs humains se reproduisent presque deux fois plus rapidement (tous les 3 à 4 ans en moyenne) que les autres singes (tous les 6 à 8 ans en moyenne). Ces soins partagés aident à comprendre le taux plus élevé de reproduction humaine. Dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs, ils permettent à la mère, à la fois, de recueillir de la nourriture pour elle et sa progéniture, et de bénéficier d'aliments recueillis par des membres de son groupe.
Cette hypothèse des soins partagés conduit Hrdy à une critique de la théorie de l’attachement basée sur des soins continus et exclusifs de la mère envers sa progéniture.

Si les grands singes ne sont pas des éleveurs coopératifs, ce système a cependant été exploité par une grande variété d'autres espèces, y compris insectes, oiseaux et primates non humains, en particulier les ouistitis. (Considérant que les humains et les grands singes partageaient un dernier ancêtre commun il y a quelques années 7 millions d’années, les humains et les ouistitis ont partagé un ancêtre commun il y a environ 30 millions d'années.) Chez les mâles ouistitis, la concurrence est intense pour accompagner les enfants, et également entre mâles et femelles pour obtenir les faveurs des bébés en leur fournissant de la nourriture. Hrdy souligne qu’elle ne connaît pas d'autres mammifères dont les bébés sont systématiquement plus attachés à leur père que leur mère. Les mères humaines ne peuvent même pas fantasmer sur un tel état de choses ! La prolactine est une hormone connue pour stimuler la lactation chez les mammifères femelles et aussi pour promouvoir des réponses nutritives chez les oiseaux et les mammifères des deux sexes. Les mâles ouistitis, comme les mâles humains, ont un niveau de prolactine augmente après la naissance d'un nouveau-né.

 

Parmi les primates où existent des soins allomaternels, il y a une compétition entre les nourrissons pour obtenir plus de soins ; les caractéristiques morphologiques des enfants contribuent à cette compétition (couleur blanc-neige par exemple) pour attirer l’attention des soigneurs, au risque d’attirer aussi l'attention des prédateurs. Comme les enfants de nombreuses espèces, les bébés humains sont particulièrement attractifs. Hrdy emploie le terme « pièges sensoriels » adaptés uniquement à attirer l'attention d’adultes dont le cerveau est câblé pour enregistrer les signaux exprimant les besoins des nourrissons.

L’auteure examine l'hypothèse dite « des soins égarés », selon laquelle les membres d'une espèce à maturation lente (nidicoles), ayant donc une longue et profonde histoire de soins, prédisposant les parents à répondre aux signaux des juvéniles et à l’alloparentalité, peuvent se faire duper par la progéniture d'autres espèces (exemple des coucous). Ainsi, Hrdy examine les preuves montrant que les soins parentaux mal orientés ont ouvert la voie à l’élevage coopératif chez plusieurs espèces, y compris poissons, insectes eusociaux et oiseaux. Par exemple, les travailleurs stériles des insectes eusociaux qui participent aux soins des descendants de la reine. L’auteur va jusqu’à oser une comparaison entre les femmes ménopausées et les castes stériles des insectes. Elle examine également les données historiques où des nourrices humaines, soumises à de longues lactations par des femmes socialement favorisées, ont, par conséquent, une diminution de leur ovulation et de leur reproduction.

 

Puisque l’allomaternité est si bénéfique aux mères, l’auteure se demande pourquoi toutes les femelles singes ne sollicitent-elles pas d'aide ? La raison est que les mères singes redoutent l’infanticide, car les bébés chimpanzés sont une excellente source de protéines ; l'élimination d'un nourrisson donne au mâle une possibilité d'inséminer une femelle fertile ; les singes femelles quittent leur groupe natal pour se reproduire dans d'autres communautés ; elles s'inquiètent alors aussi des femelles non apparentées, potentiellement infanticides. Chez les grands singes, la menace de l'infanticide est si grande, pour les femelles subordonnées, que le renoncement à la conception peut être une forme d’adaptation.

L’auteure insiste sur le fait que la coopération et l’alloparentalité chez l'homme impliquent de distinguer le rôle des femmes ménopausées en général et des grands-mères maternelles en particulier. Chez de nombreuses espèces de singes, les femmes ménopausées affichent des comportements altruistes. Hrdy raconte l'histoire d'une femelle langur ménopausée qui a risqué héroïquement sa vie pour protéger un enfant de l'attaque d'un mâle intrus. Mais les femmes ménopausées humaines vivent plus longtemps que les femelles singes. En règle générale, les coûts de la reproduction sont tels que les femmes les plus fertiles meurent plus tôt. Cependant, chez les éleveurs coopératifs, cette règle est souvent inversée. Par exemple, la durée de vie d'une reine abeille est mesurée en années, celle d'une ouvrière en semaines. Dans les sociétés humaines de chasseurs-cueilleurs, les grands-mères maternelles travaillent particulièrement dur à chercher de la nourriture ; dix ans de vie post-ménopausique d’une grand-mère peuvent permettre à deux petits-enfants de parvenir jusqu’à l'âge de la reproduction.
Ce rôle crucial des grands-mères maternelles dans les soins de la progéniture amène l’auteure à critiquer les hypothèses traditionnelles anthropologiques de la résidence patrilocale et du rôle d'organisation de l’héritage patrilinéaire dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs. Hrdy n’argumente pas pour autant en faveur de l'élevage matrilinéaire, elle met plutôt l'accent tout au long de son livre sur la «flexibilité stratégique», cette flexibilité a été et continue d'être une marque de la « famille humaine». Cet argument en faveur de la flexibilité stratégique conduit Hrdy à une merveilleuse démystification du contrat de chasse et du contrat sexuel : hypothèse notoire du pacte entre un chasseur mâle qui approvisionne sa compagne, laquelle le rembourse par une fidélité sexuelle. Ce modèle surestime grandement le rôle de la chasse dans la contribution alimentaire chez les chasseurs-cueilleurs. Que faire si l'homme meurt ou détourne la nourriture vers d’autres femmes ? La flexibilité stratégique et l’alloparentalité permettront d’y remédier. La flexibilité stratégique n’est pas seulement l’alloparentalité, elle sélectionne aussi les réponses maternelles en cas de défaut de soins ou de manque de ressources.

L’élevage coopératif a été découvert par de nombreuses espèces aux structures cérébrales très différentes. Hrdy offre quelques spéculations fascinantes sur les problèmes dont la solution aurait facilité l'émergence de l’élevage coopératif. D'une part, il aurait permis aux loups et aux éléphants, autrefois beaucoup plus nombreux, de sortir d’Afrique, de même pour les corvidés, les souris et les humains. Des oiseaux nicheurs auraient ainsi pu coloniser l’Australie et le monde entier. En effet, les quatre conditions de l’élevage coopératif sont une maturation lente, une longue durée de vie, l’occupation annuelle d’une même zone géographique, et des changements imprévisibles de l'environnement.

Deux ultimes questions pour clore ce livre. Quand l’élevage coopératif humain a-t-il pu commencer ? Quand les humains sont-ils devenus émotionnellement modernes ? Être émotionnellement moderne, c’est pouvoir faire un vol transatlantique plein d'étrangers en arrivant indemne ; les chimpanzés en seraient incapables. Si un groupe d’humains voyageait avec un groupe de chimpanzés, la chance d’arriver indemne serait faible, même avec des bonobos réputés pacifiques. Certes, l'enregistrement archéologique des 10 000 dernières années regorge de preuves de massacres humains. Toutefois, contrairement aux sociétés humaines hiérarchisées plus tardivement sur la base de la production alimentaire et la division du travail, nos ancêtres du pléistocène étaient des chasseurs-cueilleurs vivant en petits groupes égalitaires avec peu de propension à la guerre.

Hrdy suppose que la pression pour l’élevage coopératif et la modernité émotionnelle chez les singes provient de plus gros cerveaux et de corps de plus grande taille nécessitant plus de nourriture et de protéines, d’une durée de vie prolongée et d’une maturation tardive. Sur cette base, l'élevage coopératif et la modernité émotionnelle sont apparus au début de l'évolution des hominidés longtemps avant le langage, avant même que les ancêtres communs de tous les humains modernes aient migré hors d'Afrique, au cours des 200 000 dernières années.

Bibliographie

Hrdy Sarah Blaffer
Les mères et les autres : origines évolutionnistes de la compréhension mutuelle.
Cambridge, Mass Harvard University Press, 2012

Burkart J.M., Hrdy S.B., Van Schaik C.P.
Cooperative breeding and human cognitive evolution
Evolutionary Anthropology: Issues, News, and Reviews,Vol 18 Issue 5, 2009
DOI : 10.1002/evan.20222

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Depuis quelques années, le problème de l'antibiorésistance, les progrès de la génomique, la redécouverte du microbiote et la prise en charge de maladies au long cours, nécessitent l'introduction d'une pensée évolutionniste dans la réflexion clinique

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