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Hypothèse hygiéniste : critique du livre de Rook.

dernière mise à jour le 12/02/2021

 

Evaluation critique et constructive de l’hypothèse hygiéniste dans une perspective évolutionniste. D’après le livre : The hygiene hypothesis and Darwinian medicine1.

La théorie hygiéniste de David Strachan2, en plus d’avoir fait couler beaucoup d’encre, a eu le grand mérite d’introduire l’immunologie dans les conversations des chaumières. Cette théorie stipule que l’excès d’hygiène et d’antibiotiques dans la petite enfance a favorisé l’essor des maladies allergiques, auto-immunes, inflammatoires ainsi que d’autres comme l’obésité.

L’auteur se demande comment pouvons-nous équilibrer le risque réel d’infections dangereuses pour nos enfants avec le besoin, supposé bienfaiteur, d’une exposition aux microbes ? Et cela afin de limiter le risque plus tardif d’asthme et de maladies auto-immunes graves et durant toute la vie.

Ainsi, dans plusieurs pays occidentaux, la mode de stérilisation des biberons a progressivement cédé la place à un lavage à l’eau chaude du robinet.

Cependant, l’hypothèse hygiéniste, dès ses débuts, a posé de sérieux problèmes par ses études très contrastées et ses interprétations trop enthousiastes sur certains points.
Evidemment, des études épidémiologiques permettant d’établir un lien entre des maladies tardives et l’exposition ou non du nouveau-né aux microbes présentent d’énormes difficultés conceptuelles. Les études sur les souris en milieu septique ou aseptique étant difficilement applicables chez l’homme !
Néanmoins, la théorie hygiéniste a été un paradigme très favorable à la recherche extensive et elle a pris de la vigueur sous l’accumulation incessante des preuves.

L’auteur G. Rook a recruté 24 experts de différents domaines pour reconsidérer cette théorie sous l’angle évolutionniste en 15 chapitres et 300 pages. Ce livre mérite d’être lu.
En plus du compréhensible point de vue immunologique, il fournit aussi des expertises d’épidémiologie anthropologique. Il apporte la preuve des relations entre l’infection et les leucémies infantiles ainsi que les relations moins connues avec l’athérosclérose, les désordres psychiatriques et la maladie d’Alzheimer.
On y trouve même l’analyse des nouvelles thérapeutiques des colites inflammatoires par des parasites ou leurs productions.

Le livre relève très lucidement les limites de la théorie ainsi que des mécanismes alternatifs ou supplémentaires. Les critiques sont agréablement honnêtes et parfois sévères comme le besoin d’une meilleure définition des mécanismes protecteurs de l’allergie. Par exemple « Il semblerait pour l’instant hasardeux d’utiliser des produits préventifs dans l’allergie en l’absence d’arguments plus solides et plus rationnels. »

L’auteur développe sa notion de « vieux amis » : le microbiote intestinal et les saprophytes environnementaux avec lesquels nous avons développé d’étroites dépendances tout au long de l’évolution. Tout cela est fait de façon mesurée et l’auteur lui-même annonce clairement que le sujet de ce livre n’est pas de suggérer que l’augmentation des maladies inflammatoires et allergiques est due seulement à la diminution du contact avec nos « vieux amis ».

Ce livre nous laisse-t-il quelque frustration ? Bien sûr, mais cela est dû essentiellement aux progrès fulgurants de l’immunologie que l’on a du mal à suivre.
Par exemple, outre les TLR (Toll Like Receptors) qui reconnaissent à la fois des microbes et nos propres molécules et les NOD (récepteurs qui répondent à des peptides bactériens), le livre parle peu des autres membres de la famille des NLR : nos récepteurs antigéniques innés.
De même pour le RIG-I Like Helicase (famille des RLH) qui répond à la fois à un ARN viral et à un ADN humain accédant au cytoplasme.
Hélas, les passionnants travaux sur les relations entre l’obésité et la flore (microbiote) intestinale sont trop récents pour avoir été inclus dans le livre.

Il aurait aussi été intéressant d’étudier plus en profondeur la réalité indéniable de l’augmentation mondiale de l’asthme, des allergies et des maladies auto-immunes. Les graphiques sur cette augmentation de prévalence ne concernent que les colites inflammatoires (maladie de Crohn et RCH)

Dans la théorie hygiéniste, l’accent a toujours été mis sur les allergies, l’asthme et seulement quelques maladies auto-immunes comme le DID (diabète de type I) et la SEP (sclérose en plaques). Je suppose que la raison de cette sélection dépend d’un choix volontaire de parler des maladies auto-immunes généralisées plutôt que de celles d’organes précis.
Le changement récent du ratio hommes/femmes dans la SEP pourrait aussi être très instructif à considérer. La relation entre la mixité des populations et la leucémie aigue lymphoblastique mériterait une analyse plus détaillée sur les migrations et leurs impacts nationaux sur cette pathologie.

Au total, si le livre renforce la médecine évolutionniste par son approche anthropologique et immunologique pertinente, il nous informe assez peu sur les moyens développés par la médecine darwinienne pour améliorer les recherches dans la théorie hygiéniste.
Malgré tout, il reste le livre de référence pour comprendre et enseigner cette théorie hygiéniste et la développer dans différents domaines de recherche. Sa notoriété est telle que dans le milieu de la médecine darwinienne, on parle déjà du « Rook Book ».

Bibliographie

Graham A.W. Rook, Editor - Michael J. Parnham, Series Editor Birkhäuser Verlag AG
Progress in inflammation research : The hygiene hypothesis and darwinian medicine
ISBN 978-3-7643-8902-4

Strachan David
Hygiene hypothesis
Brit Med J 299:1259-1260, 1989

Médecine évolutionniste (ou darwinienne)

Depuis quelques années, le problème de l'antibiorésistance, les progrès de la génomique, la redécouverte du microbiote et la prise en charge de maladies au long cours, nécessitent l'introduction d'une pensée évolutionniste dans la réflexion clinique

Le premier diplôme universitaire intitulé "Biologie de l'évolution et médecine" a été mis en place à la faculté de Lyon en 2016.

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