lucperino.com

Sélection naturelle de la mauvaise science

humeur du 04/11/2019

Le système actuel de publication en biomédecine favorise et encourage les résultats faussement positifs et ignore les résultats négatifs. Cette médiocrité méthodologique persiste dans les articles des plus prestigieuses revues médicales malgré les alertes répétées et une réelle volonté de changer les choses.

La persistance d’une telle médiocrité résulte donc forcément d’autre chose que de l’incompréhension ou de la corruption. C’est ce qu’ont démontré Smaldino et McElreath dans leur fameux article.

En réalité, de multiples mesures incitatives conduisent à une « sélection naturelle » de la mauvaise science, sélection que ces auteurs démontrent sur le modèle même de la biologie évolutionniste. En médecine hospitalo-universitaire, l’avancement professionnel passe fort peu par l’expertise clinique ou relationnelle, mais essentiellement par les publications. La conception des essais et les méthodes d’analyse ne sont pas déduites du chevet des patients mais elles sont choisies pour une future publication qui répondra aux normes et exigences des financeurs et des revues qui en dépendent.

Les deux auteurs font une méta-analyse de la puissance statistique sur 60 années de publications et montrent que cette puissance ne s’est pas améliorée malgré les démonstrations répétées de la nécessité de l’accroître. Ils élaborent ensuite un modèle dynamique de communautés scientifiques et montrent que les laboratoires les plus « normatifs », c’est-à-dire ceux dont les méthodes de recherche sont « dictées », sont logiquement les plus « performants » en termes de publications. Et poursuivant sur le modèle de la sélection naturelle, ils montrent que ces laboratoires ont la plus grande « progéniture », c’est-à-dire plus d’étudiants qui ouvriront leur propre laboratoire sur le même modèle. Cette sélection pour un rendement élevé conduit à un lent processus de détérioration méthodologique et à des taux de fausses découvertes de plus en plus élevés.

Ce biais se poursuit dramatiquement dans les comités de recherche destinés à élaborer les bonnes pratiques médicales. Les articles ne sont pas critiqués, voire pas lus, seul compte leur facteur d’impact et les notifications aux agences de presse.

Pourquoi l’amélioration des méthodes de recherche est-elle plus lente en biomédecine qu’en aéronautique ou en électronique ? Car la sanction des erreurs y est moins spectaculaire que ne l’est un crash aérien ou une panne informatique, tout particulièrement pour les maladies dites « chroniques » où l’évaluation est devenue pratiquement impossible.

Ces maladies tumorales, psychiatriques, cardiovasculaires et neurodégénératives sont devenues logiquement la cible du marché, car exagérément la cible de l’espoir. Mais n’espérons pas améliorer les méthodes de recherche les concernant, tant que l’on n’aura pas opéré un changement brutal, radical, violent, menaçant, au niveau institutionnel.

Bibliographie

Smaldino PE, Mcelreath R
The natural selection of bad science
RSOS, 1 September 2016
DOI : 10.1098/rsos.160384

Médecine évolutionniste (ou darwinienne)

Depuis quelques années, le problème de l'antibiorésistance, les progrès de la génomique, la redécouverte du microbiote et la prise en charge de maladies au long cours, nécessitent l'introduction d'une pensée évolutionniste dans la réflexion clinique

Le premier diplôme universitaire intitulé "Biologie de l'évolution et médecine" a été mis en place à la faculté de Lyon en 2016.

RARE

Site médical sans publicité
et sans conflit d'intérêts.

 

Livres pour les cliniciens curieux

Les non-maladies - Luc Perino ▪ Seuil, janvier 2023 La médecine moderne a indubitablement accompli de grands [...]

Le pouvoir de guérir - Michel Raymond ▪ Humensciences, mars 2020 Michel Raymond fait partie des rares chercheurs [...]

L'homme désincarné - Sylviane Agacinski ▪ Tracts - Gallimard, 2019 Ce livre est à recommander aux législateurs, [...]

Introduction à la philosophie des sciences médicales - Maël Lemoine ▪ Hermann, 2017 Aucun livre de qualité sur l'épistémologie de la médecine [...]

Psychiatrie mortelle et déni organisé - Peter C. Gøtzsche ▪ PUL, 2017 Nous connaissons bien Peter C. Gøtzsche, inlassable [...]

Vous aimerez aussi ces humeurs...

Les maladies ont un genre - En dehors des maladies liées à un organe sexuel (sein, prostate, ovaire, [...]

Méningite versus rhume - Les méningites bactériennes sont dues principalement à trois germes (haemophilus, [...]

Vaccins, pourquoi ne fait-on pas comme pour les médicaments ? - Les vaccins constituent la plus belle victoire de la médecine. Jusque dans les années 1970, les [...]

L'idiot utile - Un recensement annuel du nombre de personnes porteuses de cancers entre 1970 et 2020, n’a [...]

Arithmétique du DSM - Le premier manuel diagnostique et statistique des maladies mentales, plus connu sous le [...]

La phrase biomédicale aléatoire

Nous concluons avec la même certitude qu'à l'instar des viscères abdominaux, le cerveau digère en quelque sorte les impressions ; il fait organiquement la sécrétion de la pensée.
― Pierre Cabanis

Haut de page