dernière mise à jour le 20/04/2020
Abstract
Dans la littérature médicale, l'hypothèse des origines fœtales est associée à David J.Barker qui postule que des maladies dégénératives et chroniques des adultes, y compris les maladies cardiaques et le diabète de type 2, sont imputables à l’environnement préexistant des décennies plus tôt, en particulier pendant la vie intra-utérine. Les économistes ont développé cette hypothèse, en enquêtant sur un éventail plus large de traumatismes et évènements au cours des grossesses et ils ont trouvé une multitude de facteurs ayant un impact ultérieur sur la vie des adultes, notamment les résultats de tests, le niveau de scolarité et de revenus, ainsi que la santé. Leurs observations ont ainsi fourni certaines des preuves les plus pertinentes à l'appui de l'hypothèse foetale. L'ampleur des impacts est généralement importante. Ainsi, l'hypothèse des origines fœtales a non seulement survécu lors de cette approche économique, mais elle s'est renforcée.
À la fin des années 50, les épidémiologistes pensaient qu'un fœtus était un «parasite parfait» «protégé contre les dommages nutritionnels subis par sa mère». Le placenta était considéré comme un «filtre parfait, protégeant le fœtus des substances nocives du corps de la mère et laissant passer les substances utiles». Cette indolence s'étendait à la nutrition prénatale. Pendant les années 1950 et 1960, on déconseillait aux femmes de prendre trop de poids pendant la grossesse. Pendant le baby-boom, «on a dit aux femmes enceintes qu'il était bien d'allumer une cigarette et de boire quelques verres». En 1960, environ la moitié des mères américaines déclaraient avoir fumé pendant leur grossesse.
Mais qu’en est-il si nous considérons que les neuf mois in utero sont l'une des périodes les plus critiques de la vie d'une personne, façonnant ses capacités futures et ses trajectoires de santé - et donc la probabilité de ses gains en la matière ?
Cet article passe en revue la littérature de plus en plus riche sur l'hypothèse dite des «origines fœtales». Le partisan le plus célèbre de cette hypothèse est David J. Barker, médecin et épidémiologiste britannique, qui a fait valoir qu'une nutrition inadéquate in utero «programme» le fœtus avec des caractéristiques métaboliques pouvant conduire à de futures maladies. Par exemple, Barker a soutenu que les personnes souffrant de faim in utero sont les plus susceptibles d’être en surpoids à l'âge adulte et donc de souffrir de maladies associées à l'obésité, notamment cardiovasculaires et le diabète de type 2.
L'hypothèse des origines fœtales repose sur plusieurs idées clés. Premièrement, les effets des conditions fœtales sont durables. Deuxièmement, les effets sur la santé peuvent rester latents pendant de nombreuses années (ex : les maladies cardiaques n'apparaissent généralement pas comme un problème avant l'âge mûr). Troisièmement, le mécanisme biologique de cette «programmation» fœtale repose probablement sur les effets de l'environnement sur l'épigénome, qui commencent tout juste à être compris. L'épigénome peut être conçu comme une série de commutateurs qui provoquent ou non l'expression de diverses parties du génome. La période in utero semble particulièrement importante pour le réglage de ces commutateurs.
L'hypothèse des origines fœtales est également sortie de son cadre conventionnel en suggérant que des comportements d’adultes, tels que le tabagisme, l'exercice et le régime alimentaire, pouvaient aussi trouver leur origine dans l’environnement du fœtus. Cette hypothèse a été controversée. D’autant que la majorité des premières preuves étaient des corrélations ayant trop peu éliminé les facteurs de confusion potentiels. Il est surprenant que certaines des preuves les plus convaincantes en faveur de cette version élargie de l'hypothèse proviennent de travaux récents en économie. Les économistes se sont en effet employés à démontrer que divers facteurs environnementaux peuvent avoir des effets négatifs sur le développement du fœtus, même à des niveaux auparavant inoffensifs. Les impacts sur la vie adulte concernent les performances économiques, le niveau de scolarité et les salaires.
Cet article offre un aperçu de la littérature sur le sujet et de la place qu’y tient Barker, ainsi que quelques orientations prometteuses pour de futures recherches. De toute évidence, une pleine acceptation de l'idée de l'hypothèse des origines fœtales aurait des implications radicales pour les décisions individuelles et politiques, suggérant par exemple que le moment optimal d’intervention pour améliorer les chances des enfants est avant leur naissance, et peut-être avant que les mères ne réalisent même qu’elles sont enceintes.
Effets apparents
Quelques exemples isolés des conséquences néfastes de l’environnement in utero étaient déjà connus, comme celui de la rubéole congénitale décrit pour la première fois en 1941 ou celui du thalidomide à la fin des années 1950. Ces exemples ont été les premiers à faire comprendre au corps médical et au public que le placenta n'est pas une barrière imperméable. D'autres exemples d'expositions fœtales pouvant entraîner des anomalies graves et permanentes à la naissance ont ensuite été décrits. En 1973, Kenneth Jones et David Smith ont décrit un ensemble d'anomalies chez les enfants de mères alcooliques et l'ont qualifié de «syndrome d'alcoolisme fœtal». Ces traits étaient connus depuis longtemps, mais avaient été attribués à l'hérédité.
Effets latents
Un volet distinct de cette épidémiologie développe l'idée plus subtile que les événements in utero pourraient modifier le nourrisson d'une manière qui conduirait à une maladie ultérieure, même chez les nourrissons qui étaient apparemment en bonne santé à la naissance. Kermack et ses collaborateurs ont exploré l'idée que les effets à long terme des chocs sanitaires in utero pourraient rester latents pendant de longues périodes. Une série d'études sur la famine hollandaise de l’hiver 1944 a testé cette hypothèse. Cette famine due à l'occupation nazie a poussé de nombreux Néerlandais à manger jusqu’à des bulbes de tulipes.
En novembre 1944, les rations officielles étaient tombées en dessous de 1000 calories alimentaires par jour et en avril 1945, à 500 calories par jour. Cette famine est désormais connue pour ses effets sur la fertilité, le poids de grossesse, la tension artérielle maternelle et le poids du nourrisson à la naissance. Stein et son équipe ont examiné la relation entre l'exposition prénatale à la famine et les registres de conscription de plus de 400 000 hommes de 18 ans. L'exposition à la famine a été définie en utilisant la date de naissance et le lieu de naissance. Aucun effet n'a été trouvé sur les scores de QI, mais le taux d'obésité a doublé chez ceux qui avaient été exposés au cours du premier trimestre de leur vie in utero.
Cette idée des effets latents sur la santé découlant de la période prénatale a précédé le travail de David Barker. Toutefois, ce dernier y a apporté trois grandes contributions. Premièrement, des maladies chroniques telles que le diabète de type 2 (DT2) les maladies cardiovasculaires qui n’apparaissent qu’au milieu de la vie pourraient être liées à l’environnement in utero. Deuxièmement, il a obtenu et analysé des données sur 16000 hommes et femmes nés entre 1911 et 1930 dans le Hertfordshire. Enfin, Barker a pratiqué un prosélytisme zélé et efficace pour faire de son nom un synonyme de l'hypothèse des origines fœtales.
Contrairement à l'expérimentation naturelle employée dans l'étude de la famine hollandaise, les travaux de Barker était de type corrélationnel. Comparant, par exemple, les taux de mortalité adulte entre 1968 et 1978 aux taux de mortalité infantile de 1921 à 1925 par zone géographique. Sans trop se préoccuper de facteurs de confusion. Cette approche a provoqué de vives critiques. Notamment que les mesures anthropométriques comme l'insuffisance pondérale à la naissance sont de faibles indicateurs de la nutrition fœtale et que les relations observées entre l'anthropométrie et les résultats pour la santé future pourraient refléter de nombreux autres facteurs de confusion potentiels. Néanmoins, Barker a synthétisé et expliqué son l'hypothèse avec un génie certain qui a impressionné les scientifiques et les profanes.
Des études ultérieures ont utilisé les données des registres psychiatriques nationaux néerlandais et ont constaté une augmentation de la schizophrénie chez les personnes touchées par la famine in utero. Ce constat a été renouvelé pour la famine chinoise de 1959-1961, mais pas pour les famines associées au siège de Leningrad, ni pour la famine de 1866-1868 en Finlande. Cependant, à Leningrad et en Finlande, la mortalité était élevée et les conditions «si graves qu'il est possible que seuls les individus en bonne santé aient survécu. Par exemple, en Finlande, le taux de mortalité infantile était de 40%. Aux Pays - Bas, la cohorte touchée a été suivie à 59 ans, et des changements importants dans les dépôts de graisse ont été trouvés pour les femmes (mais pas pour les hommes), et sur la pression artérielle pour les hommes et les femmes.
Quelle latence?
Ces dernières années, de nombreuses études ont montré que le poids à la naissance peut être affecté par une variété de chocs plus ou moins subtils au cours de la période fœtale. Cependant, bien que le poids de naissance soit la mesure la plus accessible et la mieux étudiée de la santé fœtale, elle est peut-être incomplète et peut avoir retardé et dissimulé l'importance d’autres effets fœtaux. Dans l'étude fondamentale de Stein, les cohortes qui ont été exposées à la famine au cours de la première moitié de la grossesse avaient un poids de naissance relativement normal, mais ont ensuite apporté d’autres preuves d’effets sur la santé, comme les maladies cardiovasculaires. En revanche, les cohortes touchées en deuxième partie de grossesse ont subi une réduction plus importante du poids à la naissance, mais étaient en meilleure santé plus tard dans la vie. Ainsi, cette étude révèle de façon incontestable expositions intra-utérines peuvent avoir des conséquences durables sur la santé des adultes, sans qu’il y ait eu nécessairement une modification du poids de naissance».
Il n’existe hélas aucune mesure idéale pour étudier les dommages fœtaux à tous les stades de la grossesse. Plus récemment, Barker a préconisé l'utilisation de la forme placentaire comme marqueur.
L'absence d'une mesure idéale de la santé du fœtus n'a pas empêché les économistes d'aborder l'hypothèse des origines fœtales. Cela peut être dû au fait que les économistes sont habitués à considérer les variables comme latentes. Sur le plan pratique, les économistes ont des stratégies d'identification qui permettent de contourner la question délicate de la mesure idéale de la santé fœtale.
Cadre conceptuel
L'une des raisons pour lesquelles les économistes se sont intéressés à l'hypothèse des origines fœtales est qu'elle a des implications importantes pour la modélisation du développement du capital humain. Dans le modèle désormais standard de Grossman de développement du capital santé, l'équation du mouvement du stock de santé s'écrit :
H t = (1 - δ ) H t -1 + I t
H t représente le stock de santé
I t représente les investissements en capital santé
δ représente le taux de dépréciation du capital santé.
Ce modèle de travail s’appuie sur l’atténuation progressive des chocs de santé subis dans la petite enfance. En d'autres termes, si le capital santé se déprécie, les effets des chocs subis par le capital santé doivent également s’atténuer dans le temps, de sorte que des événements plus lointains dans le passé auront des effets moins importants que des événements plus récents. Comme l'a fait observer Smith : "quelle peut être l’importance de brèves expositions, si la santé est considérée comme un stock ?
La figure 1 montre comment un choc négatif entraînant un dépréciation de 25% du stock de santé dès la naissance serait décelable à l’âge de 30 ans selon divers taux de dépréciation du capital santé. Nous voyons qu’avec le plus faible taux de dépréciation, la moitié de la dépréciation n’est déjà plus visible à l’adolescence. Si les taux sont plus élevés, de 10 et 15%, nous avons du mal à détecter les effets persistants du choc après 30 ans.
Figure 1 - Persistance des chocs par âge : cadre de Grossman
Heckman [2007] décrit un modèle de formation des capacités de l’individu qui est bien adapté pour considérer les origines fœtales. Il établit par convention une similitude entre la production de santé et la production de travail et de capital ; les intrants sont alors considérés comme des investissements dans la santé à différents stades de développement de l'enfance. Dans le modèle à deux entrées le plus simple, au lieu d'avoir des entrées de capital et de travail, nous pourrions avoir des investissements in utero et ceux qui se produisent pendant le reste de l'enfance.
Ces modèles impliquent que les effets des chocs d'investissement prénataux n’évoluent pas de façon monotone avec l’âge. Ainsi, ils nous libèrent de la «disparition progressive» des premiers chocs inhérents à la formulation de Grossman. Cependant, le potentiel de complémentarité entre les chocs prénataux et les investissements ultérieurs souligne toujours l'importance d'un «bon départ».
Ces «complémentarités dynamiques» impliquent que les investissements au temps t sont plus productifs quand il y a un niveau élevé de capacités au temps t - 1. De plus, «l'auto-productivité» implique que des niveaux de capacité plus élevés au cours d'une période créent des niveaux de capacité plus élevés dans les périodes futures (ce qui est remarquable lorsque la capacité est multifactorielle, par exemple la santé de base facilite la cognition). Cunha, Heckman et Schennach simulent des modèles de ce type et suggèrent que les capacités mesurées dans la petite enfance peuvent expliquer une grande partie de la variabilité des réalisations des adultes. L'idée générale est que les chocs précoces ont traversé pendant plus longtemps les systèmes dynamiques, tandis que les chocs tardifs n'ont pas encore eu le temps de se dissiper. Currie et ses collaborateurs ont fourni des preuves empiriques cohérentes avec ce modèle de temps hypothétique, démontrant que la santé à la naissance, la santé dans la petite enfance et la santé à la fin de l'adolescence ont des effets plus importants sur le niveau d'instruction et l'utilisation du bien-être que la santé au début de l'adolescence. À ce jour, il n'y a eu aucune autre étude similaire rendant aussi bien compte l'impact des chocs fœtaux.
Avant de passer aux preuves empiriques de l'économie sur l'hypothèse des origines fœtales, il est important de considérer quelles études sur les origines fœtales peuvent réellement espérer en rendre compte. Par exemple, si l'exposition d'un fœtus à la rubéole à un moment précis de la grossesse entraîne une surdité, il pourrait être raisonnable de considérer cela comme un effet «biologique». Inversement, les effets à long terme du syndrome d'alcoolisme fœtal peuvent être très différents selon que l'enfant est ou non placé en institution, ou si l'enfant est «intégré» à l'école. À un niveau plus subtil, les parents peuvent essayer d'aider les enfants à surmonter leurs handicaps, ou ils peuvent décider de concentrer leurs efforts sur les frères et sœurs sans handicap. Par conséquent, lors de l'examen des résultats à plus long terme, il est important de garder à l'esprit que ceux-ci peuvent aussi représenter des facteurs sociaux. Même à court terme, il peut y avoir une atténuation des effets des chocs. Par exemple, en cas de famine, la famille peut privilégier les rations alimentaires d’une femme enceinte, ce qui perturberait les conclusions sur la base des rations alimentaires moyennes.
Contributions empiriques de l'économie
L'hypothèse des origines fœtales de Barker a engendré une importante littérature toujours croissante dans l'économie de la santé et plus largement. L'économie du développement y a été particulièrement active. Mais aussi, l'économie de l'environnement, l'histoire économique, l'économie familiale, et même la croissance économique, toutes ont été influencées par l'hypothèse des origines fœtales. Nous ne tenterons pas de résumer cette littérature volumineuse. Au lieu de cela, nous décrirons quatre contributions thématiques que les économistes ont apportées à l'hypothèse des origines fœtales:
1) l'analyse des paramètres non liés à la santé;
2) l’amélioration des stratégies d'identification;
3) la prise en compte d'expositions prénatales relativement légères et plus variées;
4) la formalisation des tensions entre les «cicatrices» et la mortalité sélective dans les données écologiques.
Paramètres non liés à la santé
Currie et Hyson ont innové en économie en étudiant si les effets des origines fœtales pouvaient s'étendre non seulement aux mesures de santé, mais aussi aux mesures des mesures du capital humain. En utilisant l'Enquête nationale sur le développement de l'enfant britannique, ils ont constaté que les enfants de faible poids à la naissance (< 2500 g) avaient 25% de chances de moins de réussir des d’anglais et de mathématiques correspondant au niveau de sortie de lycée, et avaient moins souvent un emploi à 33 ans. Bien qu’il s’agisse d’une étude principalement descriptive, la conclusion était surprenante, car les épidémiologistes avaient régulièrement évoqué des mécanisme « d’épargne cérébrale » où les conditions défavorables in utero étaient compensées par une priorisation placentaire du développement neuronal sur le développement corporel.
Depuis lors, une importante littérature empirique a développé l'analyse des différences intra-familiales (et intra-jumeaux) sur les relations entre état à la naissance et niveau de scolarité, en utilisant souvent de grands échantillons de données provenant des registres de natalité. Bien que, comme indiqué ci-dessus, le poids à la naissance soit une mesure relativement grossière de la santé du fœtus, de telles études trouvent généralement des relations statistiquement significatives entre poids de naissance et résultats scolaires et sur le marché du travail. Par exemple, une augmentation de seulement 10% du poids à la naissance augmente de 1,2% les chances de diplôme d'études secondaires, de 1,2% le QI (des hommes), augmente aussi le salaire de 0,9% et la taille adulte de 0.3%.
Outre les résultats en matière de capital humain et de marché du travail, divers autres traits semblent répondre aux chocs in utero . Par exemple, en Chine, l'état matrimonial a été affecté négativement par l'exposition de la petite enfance à la famine de 1959-1961. On trouve aussi des relations avec le sentiment de bien-être ou encore les contacts sociaux.
Améliorer l'identification
Les économistes ont relevé le défi de soumettre leurs hypothèse des origines fœtales à des tests rigoureux de rejet/exclusion, c'est-à-dire des tentatives délibérées de réfutation. Le fait que l'hypothèse s'applique à une période de développement bien définie se prête à un test sévère. Les cohortes potentiellement affectées par un choc in utero peuvent être comparées aux cohortes nées juste avant ou juste après le choc. L'hypothèse des origines fœtales prédit que les résultats de santé tardifs seront plus mauvais uniquement pour les cohortes dont les grossesses se sont chevauchées avec le choc.
Certes, dans certains contextes, il peut être difficile de démêler l'effet des chocs in utero à ceux des chocs qui se produisent dans la petite enfance. Pour un choc fœtal, nous avons souvent des comparaisons précises entre la cohorte affectée au cours des 10 mois précédant la naissance et deux autres cohortes: celle qui était sur le point d'être conçue au moment du choc (donc trop jeune pour être affectée) et celle qui était déjà née au moment du choc (donc trop vieille pour être affectée). En revanche, les comparaisons sont plus difficiles pour les périodes de développement après la naissance. Par exemple, supposons que la pollution de l'air ait des effets négatifs sur le développement du fœtus, mais nuise également aux jeunes enfants. Les effets sur les très jeunes enfants peuvent augmenter avec l'âge à mesure que les enfants passent plus de temps à l'extérieur. Les effets peuvent éventuellement diminuer avec l'âge à mesure que les enfants mûrissent et que leur métabolisme ralentit (les enfants seraient particulièrement sensibles à la pollution parce que leurs systèmes sont encore en développement et qu'ils ont des métabolismes rapides). Un changement en douceur des effets de la pollution de l'air avec l'âge rendra la dissociation difficile. Cependant, étant donné un choc à la pollution, il peut encore être possible de trouver un contraste net, par exemple, entre la cohorte affectée et celle des enfants qui n'étaient pas encore conçus au moment du choc. Un changement en douceur des effets de la pollution de l'air avec l'âge rendra la dissociation plus difficile.
Inversement de nombreux tests rigoureux de l'hypothèse permettent de révéler l'effet supplémentaire de l'exposition fœtale par rapport aux effets plus « lissées » de la petite enfance.
Cependant, chercher à quantifier les effets in utero en comparant avec ceux nés juste avant ou juste après pose plusieurs problèmes. Premièrement, la plupart des cohortes de naissance ne sont ni exposées à un choc identifiable in utero, ni nées juste avant ou juste après un tel choc (et ne peuvent donc pas servir de bons contrôles). Plutôt que de regarder toutes les données sur les naissances, le chercheur est immédiatement poussé à regarder des épisodes particuliers dans lesquels un choc identifiable s'est produit, puis à tenter de tirer des conclusions généralisables de manière défendable à partir de ces épisodes. Deuxièmement, nous devons être en mesure de relier les données sur les résultats des adultes aux données sur les cohortes affectées. Mais de nombreux ensembles de données archivées n'incluent pas d'informations sur le lieu de naissance ou la date de naissance précise, empêchant toute analyse.
Les économistes ont fait preuve de créativité pour relier de grands échantillons aux conditions écologiques de leur naissance. Le plus souvent, ils ont utilisé des informations sur la date et le lieu de naissance d'un adulte pour le relier à ses conditions de santé in utero . En considérant notamment des événements historiques à points de départ et de fin relativement bien définis. Ils se sont également concentrés sur les sources exogènes de variation de la santé fœtale les mieux identifiées au niveau des groupes.
Dans cet esprit, la pandémie de grippe de 1918 offre une stratégie d'identification attrayante car elle a été inattendue, courte et étonnamment arbitraire dans le choix des victimes. Environ un tiers des personnes nées au début de 1919 avaient une mère qui avait contracté la grippe pendant la grossesse. Nous pouvons alors prendre comme groupe témoin, les personnes nées au début de 1918, qui n'avaient pratiquement aucune exposition prénatale à la pandémie grippale. En outre, nous pouvons utiliser la variation de gravité de cette pandémie entre états. Les deux approches donnent une bonne estimation des effets à long terme. Malgré la brièveté du choc sanitaire, les enfants de mères infectées étaient de 20% plus susceptibles d'être handicapés, avaient un salaire inférieur de 5% ou plus, et un niveau de scolarité plus bas.
Une étude a été réalisée à partir du fléau du phylloxera des vignobles français à la fin des années 1800, affectant lourdement les revenus des viticulteurs. Elle a utilisé les données sur les recrues militaires à l'âge de 20 ans pour chaque département et chaque année de naissance. Les enfants nés dans des familles viticoles et nés dans les années et les régions touchées par la crise étaient de 0,5 à 0,9 cm plus petits à l'âge adulte, ce qui est important par rapport à l'augmentation séculaire de 2 centimètres des hauteurs au cours du 19e siècle. Par ailleurs, aucun impact à long terme n'a été détecté sur l'espérance de vie des femmes.
Une autre a étudié un « choc » positif en Tanzanie dans les années 80 : la supplémentation en iode pendant la grossesse. Elle a constaté des impacts éducatifs importants et solides - en moyenne environ une demi-année de scolarité, avec des améliorations plus importantes pour les filles. La santé, en revanche, ne semblait pas affectée. Compte tenu du faible coût de la supplémentation en iode et de la persistance d'une carence en iode dans les pays pauvres, les auteurs concluent que la supplémentation prénatale offre une amélioration importante du capital humain à moindre coût.
Une autre étude a étudié les impacts du jeune diurne du Ramadan pendant la grossesse. Comme le Ramadan avance d'environ 11 jours par an, son effet peut être dissocié des effets saisonniers sur la santé. Loin de l’équateur, il est également plus long pendant les mois d’été. Le jeûne diurne en début de grossesse augmente la probabilité d'incapacité des adultes de plus de 20% chez les musulmans, avec des effets considérablement plus importants pour les troubles mentaux / d'apprentissage. Le fait que le Ramadan soit un choc sanitaire relativement léger nous amène à considérer d'autres expositions plus courantes.
Expositions précoces légères et non nutritionnelles
Les économistes ont utilisé la puissance de grands ensembles de données pour détecter les effets d’insultes fœtales relativement bénignes. Cette extension est essentielle car l'exposition à des agents pathogènes relativement bénins est courante. Par conséquent, les estimations qui en découlent peuvent être plus pertinentes pour la politique sanitaire que les estimations des effets des catastrophes. La mortalité immédiate et les perturbations économiques dues à la grippe de 1918 ou à la famine en Chine sont suffisantes pour impliquer que toute mesure raisonnable pour prévenir de telles catastrophes aura un grand bénéfice. Mais il est plus difficile d’évaluer le danger des expositions légères et d’y remédier.
Les maladies infectieuses en sont un exemple. Les infections ont été mentionnées dans les premiers travaux de Barker, mais cette idée a ensuite été négligée dans la littérature épidémiologique. Les infections peuvent affecter la santé du fœtus en détournant l'énergie maternelle vers la lutte contre les infections, en limitant l'apport alimentaire ou par des séquelles négatives de sa propre réponse inflammatoire. Plusieurs enquêtes ont été réalisées aux USA, sur les variations saisonnières des maladies infectieuses, les efforts de certains états pour en réduire le fardeau, et l’exposition au paludisme dans la petite enfance dans les états du sud. Par exemple, la scolarité diminue d'environ six mois pour chaque tranche de 10 décès par paludisme pour 100 000 habitants, et le paludisme précoce peut représenter jusqu'à 25% de la différence du niveau de scolarité à long terme.
La pollution est une autre source commune et potentiellement importante d'insultes fœtale. Des recherches récentes montrent que de faibles niveaux d'exposition à des contaminants quotidiens tels que les gaz d'échappement des automobiles et la fumée de cigarette ont des effets négatifs sur la santé du fœtus. Encore peut d’études ont cherché à évaluer les effets à long terme. Une étude à partir de la récession du début des années 1980 qui a réduit la pollution par les gaz à effet de serre) a permis de constater que les résultats des tests au secondaire se sont améliorés pour la cohorte in utero de cette époque.
Enfin, un certain nombre d'articles intéressants examinent les effets des chocs économiques autour de l'heure de la naissance sur la santé fœtale. Les résultats sur la santé à l’âge adulte sont moins cohérents que dans les études sur la nutrition et les infections. Les chocs ayant une temporalité diffuse, les effets sont moins nets et plus difficiles à analyser. Un deuxième problème est que le mécanisme n'est pas entièrement clair. On peut supposer que les ralentissements économiques pourraient affecter la santé fœtale par de multiples voies, y compris les effets sur la nutrition, le tabagisme, la consommation d'alcool, le stress et les maladies liées au stress. À titre d'exemple, on a constaté que les personnes nées pendant les ralentissements économiques aux Pays-Bas vivaient quelques années de moins que celles nées pendant un boom.
Si des chocs légers semblent avoir des effets souvent importants, on peut envisager d’étudier les effets d’expositions plus douces et plus courantes. Certains ont étudié les effets de divers stress maternels sur la santé du nourrisson. (Note du traducteur : avec tous les risques de relents freudiens que comportent de telles études.) Par exemple, le froid extrême pendant la grossesse a des effets négatifs faibles mais statistiquement significatifs sur la santé adulte.
Origines fœtales versus sélection
Les événements indésirables vécus in utero peuvent faire pire que des séquelles chez les survivants, ils peuvent aussi augmenter la mortalité fœtale, la mortalité néonatale ou la mortalité précoce. Les survivants constituent donc un échantillon sélectionné, une sélection endogène en réaction au même événement indésirable que l'effet «cicatriciel». Le défi de cette mortalité sélective a été reconnu à la fois en épidémiologie et en économie.
Il faut d’abord considérer la direction et l'ampleur de cette mortalité sélective. Si la mortalité a tendance à éliminer les personnes en mauvaise santé, les survivants d'événements fœtaux négatifs répondent donc à une sélection positive. Ainsi, pour être détectés, les effets « cicatriciels » négatifs doivent être suffisamment forts chez les survivants pour l'emporter sur les traits positifs de leur sélection. Par conséquent, les estimations des effets des chocs sur la santé du fœtus sont généralement prudentes lorsque le choc augmente également la mortalité. Il peut être possible d'utiliser l'augmentation estimée du taux de mortalité pour limiter le biais dû à la mortalité sélective. Par exemple, si la mortalité néonatale augmente de 2% en raison d'un événement in utero défavorable, et que nous supposons que ces 2 % auraient eu, par exemple, les meilleurs (et alternativement les pires) résultats observés chez les survivants, cela donnerait des limites inférieure et supérieure des taux d’effets résiduels. Il est possible d'obtenir une mortalité sélective beaucoup plus importante si la mortalité fœtale est affectée.
La mortalité sélective est généralement supérieure dans les situations extrêmes comme les famines ou les pandémies. Elle peut également être plus important dans les situations où la santé de base est mauvaise, lorsqu’un choc relativement modeste peut avoir des effets de mortalité accentués. Ce dernier cas est plus probable dans les pays en développement ou lors d’épisodes historiques dans les pays développés.
Les économistes ont modélisé ce processus de mortalité sélective. Un choc précoce peut augmenter la mortalité soit en réduisant la santé moyenne de la population, soit en faisant augmenter le seuil de mortalité (cela peut se produire si l'infrastructure sanitaire se détériore pendant le choc). Dans la mesure où une partie de l'ancien effet est permanente et plus forte que l'effet d'un seuil de mortalité accru, nous observerons des dommages chez les survivantes conformément à l'hypothèse des origines fœtales. En plus de la gravité de l'insulte à la santé, la fraction de la population non affectée ou asymptomatique déterminera les futurs taux de mortalité.
Bozzoli et ses collaborateurs tiennent compte de la tension entre les effets sélectif et les séquelles pour déterminer la santé. Ils utilisent la taille adulte comme mesure de la santé, arguant que dans les populations, c'est un indice sensible de l'environnement de la maladie (lié à la nutrition). Une caractéristique novatrice de leur travail est qu'ils tiennent compte à la fois des pays relativement développés à faible mortalité et des pays en développement à mortalité plus élevée. Une seconde est qu'ils montrent à quel point il est possible d'aller plus loin en termes d'inférence si nous supposons que la santé est distribuée normalement. Leur constatation de base est que dans les pays en développement, l'effet net de la sélection par rapport aux cicatrices d’un choc est de rendre les survivants plus grands, tandis que l'inverse se produit pour les pays en développement avec des taux de mortalité élevés.
La recherche future
Malgré la prolifération des recherches sur l'hypothèse des origines fœtales, une multitude de voies prometteuses demeurent pour de futures recherches. Nous en soulignons cinq.
Premièrement, de nombreux articles ont montré les effets d’évènements naturels sur la santé du nouveau-né, mais pas les effets à long terme. À l’exception de quelques tentatives comme dans l’étude Head Start, et l'expérience STAR dans les écoles maternelles. Pourtant, si les économistes pouvaient évaluer les effets à long terme de ces évènements moins extrêmes, cela serait extrêmement utile pour les politiques.
Deuxièmement, l'une des implications les plus radicales de l'hypothèse des origines fœtales peut être que l'on peut mieux aider les enfants (tout au long de leur vie) en aidant leurs mères. Autrement dit, nous devrions nous concentrer sur les femmes enceintes, ou peut-être même les femmes en âge de procréer si la période clé est en tout début de grossesse, alors que de nombreuses ignorent encore leur état. Un tel ciblage préventif constituerait une rupture radicale avec les politiques actuelles qui orientent presque toutes les ressources de santé vers les malades, c'est-à-dire l'approche «livre de guérison». Cela dit, les preuves existantes ne sont pas suffisantes pour nous permettre de classer le rapport coût-efficacité des interventions ciblant les femmes par rapport aux interventions plus traditionnelles ciblant les enfants, les adolescents ou les adultes. Par exemple, l'élargissement de la population cible aux femmes en âge de procréer réduirait la rentabilité. De plus, il y a relativement peu de mesures sur la santé fœtale validées au niveau populationnel. La supplémentation prénatale en iode et le programme WIC d'alimentation complémentaire pour les femmes, les nourrissons et les enfants sont de notables exceptions.
Un troisième domaine de recherche future consiste à intégrer les travaux sur la préférence pour les fils aux travaux sur les origines fœtales. Avant l'avènement de la détermination prénatale du sexe, les filles étaient protégées contre les préjugés sexistes avant la naissance, à la fois en termes d'effet sur les résultats de la naissance mais également en termes de spectre d'effets fœtaux. Avec la diffusion de technologies permettant de déterminer plus tôt le sexe du fœtus, cette protection s'est érodée. Par exemple, parmi les mères qui subissent des échographies, celles qui portent des filles sont moins susceptibles d'être mariées au moment de la naissance. Inversement, l'augmentation de l'avortement sélectif selon le sexe peut impliquer que les familles qui portent une fille à terme auront un meilleur investissement parental envers les filles. De nombreuses preuves montrent que les investissements parentaux répondent à détermination et à la sélection du sexe. En Inde, moins de filles naissent, mais elles sont moins susceptibles de souffrir de malnutrition. En revanche, les mères indiennes enceintes de fils ont de meilleurs soins prénatals. En Chine, on n’a pas trouvé de différence dans l’investissement parental, mais la mortalité néonatale, indicateur de l'environnement prénatal, a augmenté pour les filles après apparition de l'échographie. Un nouveau chapitre de la littérature sur les origines fœtales doit examiner les effets de cette discrimination sexuelle qui commencer in utero .
Quatrièmement, les travaux futurs sur l'hypothèse des origines fœtales devront tenir compte de l'augmentation des taux d'obésité dans les pays développés et en développement. L'obésité maternelle est associée à de mauvais résultats à la naissance, et surtout à l’augmentation de la prématurité. Un trop fort gain de poids pendant la grossesse est associé à plus de poids de naissance supérieurs à 4000 grammes, avec plus d'obésité, de diabète et de maladies cardiovasculaires à l’âge adulte. Les explications sur ce point sont encore faibles. Il est devenu classique de dire que pour la première fois, les humains habitent dans un environnement qui n’est pas celui de leur évolution. Le risque est très grand que l’augmentation de l'obésité annule nos gains sur la morbidité infectieuse et les carences nutritionnelles.
Enfin, une limitation majeure de la recherche actuelle est notre incapacité à faire des prédictions quantitative des effets des chocs fœtaux sur la vie future. À cette fin, il faut analyser les indicateurs sanitaires maternels, néonatals et infantiles qui révèlent le mieux les effets fœtaux. La question est encore ouverte et, de façon surprenante, la grossesse reste une «boîte noire». Les médecins et épidémiologistes devront concevoir de nouvelles mesures. Les plus prometteuses sont les recherches épigénétique pour déchiffrer quand et comment divers gènes sont activés ou désactivés. Il faudra aussi mieux étudier les effets du stress et de la nutrition maternels. Les économistes peuvent aider en évaluant, avec leurs méthodes, l’effet des diverses mesures et leur rentabilité sur le capital sanitaire humain.
Almond D, Currie J
Killing Me Softly: The Fetal Origins Hypothesis
J Econ Perspect. 2011 Summer; 25(3): 153–172
DOI : 10.1257/jep.25.3.153
Depuis quelques années, le problème de l'antibiorésistance, les progrès de la génomique, la redécouverte du microbiote et la prise en charge de maladies au long cours, nécessitent l'introduction d'une pensée évolutionniste dans la réflexion clinique.
Le premier diplôme universitaire intitulé "Biologie de l'évolution et médecine" a été mis en place à la faculté de Lyon en 2016.
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Plus les médecins font d'un évènement un objet scientifique, plus celui-ci prend le sens de mal, indépendamment du vécu spontané.
― Alain Froment