dernière mise à jour le 30/03/2023
Introduction
La psychologie évolutionniste a été appliquée dans de nombreux sous-domaines de la psychologie et a accumulé des preuves empiriques en psychologie du développement, psychologie économique, psychologie de la personnalité et en psychopathologie.
Del Giudice a suggéré que la théorie d'histoire de vie, une branche de la théorie de l'évolution, pourrait bien expliquer les symptômes de la psychopathologie en termes de différence individuelle des facteurs écologiques, biologiques et psychologiques.
Dans cet article, nous avons d'abord passé en revue le cadre théorique de l'histoire de vie et comment il s'intègre à la recherche en psychopathologie en analysant plusieurs troubles mentaux. Ensuite, nous avons présenté quelques méthodes de recherche représentatives et des études empiriques en psychopathologie évolutionniste. Enfin, nous avons conclu et discuté quelques orientations futures dans ce cadre.
Cadre théorique
Pour l’évolution, la réplication des gènes est le but ultime, de sorte que tous les traits et comportements servent à améliorer l'aptitude à la reproduction. Pour un organisme, l'obtention d'une aptitude reproductive est définie comme « adaptative », à l'inverse, elle est définie comme « maladaptative »4. Cependant, en psychiatrie, « adaptatif » fait référence aux traits comportementaux qui profitent à la santé, au bien-être et à la vie sociale. Quels que soient les objectifs essentiels de bonheur ou de santé, la sélection naturelle façonne les mécanismes mentaux et physiques d'un organisme en réponse à différentes conditions écologiques afin de maximiser le succès de la reproduction5. Certains comportements et traits ont été adaptatifs au cours de l'évolution. Cependant, avec l'évolution des normes sociales, leur manifestation peut être considérée comme indésirable en termes de santé mentale et peuvent être définis comme des symptômes psychopathologiques, que l'on peut aussi qualifier de pseudopathologies6. Pour cette raison, certaines publications sur l'évolution remplacent « adaptatif » par « souhaitable » pour différencier l'adaptabilité évolutive de l'adaptabilité biologique1,4. Cela donne un aperçu de la façon dont la théorie d'histoire de vie explique la santé mentale : la sélection naturelle favorise exclusivement l'aptitude reproductive.
Théorie de l'histoire de vie
La théorie de l'histoire de vie, l'une des théories évolutionnistes les plus influentes, décrit un cadre complet pour expliquer comment les organismes allouent des ressources limitées à des tâches de développement concurrentes tout au long de la vie afin de maximiser l'aptitude7–10. Selon cette théorie, ces tâches peuvent être classées en effort somatique pour un succès reproducteur futur et en effort de reproduction pour un succès reproducteur immédiat. L'effort somatique fait référence à la croissance, à la survie et à l'entretien de son corps et de son esprit, y compris l'acquisition de compétences, de connaissances, de force et d'autres capitaux corporels, fournissant la base du développement et de la reproduction future8, 11. L'effort de reproduction comprend l'effort d’appariement, d'accouplement pour des opportunités de reproduction immédiates, quant à l'investissement parental, il vise à améliorer la qualité de la progéniture7. Le compromis consiste à choisir entre avoir moins de descendants avec un investissement élevé pour chacun et avoir plus de descendants avec moins d'investissement pour chacun. Ce qui peut être défini comme un compromis entre la qualité et la quantité de la progéniture : si un organisme investit plus dans l'effort somatique, il mettra moins de ressources dans l'effort reproductif, et vice versa.
La façon dont les individus répartissent l'énergie contribue à la variabilité des stratégies d'histoire de vie, qui se situe sur un continuum de lent à rapide12. Différentes stratégies d'histoire de vie varient en termes de choix physiologiques, reproductifs et psychologiques13, 14. Les stratégies plus rapides consacrent plus de temps et d'énergie à l'effort de reproduction et privilégient les rendements à court terme par rapport à ceux à long terme. À l'inverse, les stratégies plus lentes se concentrent davantage sur l'effort somatique et retardent la récompense reproductive, donc la valeur sélective 9, 15.
Tableau 1. (tableau 1)
Au niveau physiologique, les stratégies d'histoire de vie rapide sont associées à un taux de développement plus élevé et à une maturation plus précoce. En revanche, les stratégies d'histoire de vie lente sont liées à un développement physiologique plus tardif et plus lent7, 16. En ce qui concerne le choix reproductif, les stratèges rapides ont plus de partenaires sexuels et plus de relations occasionnelles, accouchent plus tôt, ont plus d'enfants et investissent moins dans chaque enfant. Les stratèges lents sont plus susceptibles d'avoir des relations amoureuses dévouées et engagées et d'avoir moins d'enfants dans lesquels ils investissent davantage10, 17.En ce qui concerne l’aspect psychologique, les stratégies plus lentes sont associées à des comportements prévoyants, notamment l'évitement des risques, l'optimisme et la coopération ; au contraire, les stratégies plus rapides sont associées à des comportements à courte vue, tels que l'impulsivité, la prise de risques et l'agressivité18–22. En bref, les deux stratégies portent sur des choix entre une reproduction actuelle ou future, et la qualité ou la quantité de la progéniture, qui provoquent à leur tour deux groupes de traits fort différents1, 7, 8.
Rôle des conditions environnementales sur la stratégie d'histoire de vie
Les stratégies d'histoire de vie des individus sont influencées par leurs conditions écologiques, qui sont caractérisées par le niveau de dureté (mortalité et morbidité) et l'imprévisibilité (fortes variations environnementales)7, 10. Un environnement dur et imprévisible incite les individus à adopter des stratégies d'histoire de vie plus rapides, 1, 10, 17. Dans un tel environnement, les individus ont une espérance de vie plus courte et ils utilisent toute leur énergie pour attirer des partenaires et produire plus d'enfants, plutôt que d'investir dans un effort somatique dont les bénéfices immédiats sont moindres. En revanche, les individus qui vivent dans un environnement favorable et stable ont une durée de vie plus longue et sont plus susceptibles de développer des stratégies d'histoire de vie lente. Ils disposent de ressources abondantes pour investir dans l'effort somatique et se préparer à une reproduction ultérieure7 8 11 17. La théorie de l'histoire de vie souligne que l'environnement précoce au cours des 5 à 7 premières années de la vie joue un rôle essentiel dans le choix stratégique7, 10, 23. Les individus développent leur stratégie au cours de cette période sensible et varient dans leurs trajectoires de développement et leurs futurs compromis. Des études ont montré que les stratégies d'histoire de vie à l'âge adulte sont associées à l'environnement de l'enfance plutôt qu'à l'environnement adulte20, 24.
Dans les études empiriques, la dureté environnementale précoce est souvent mesurée par le statut socio-économique (SSE). De plus, les expositions à la violence, aux dangers du quartier et aux pratiques parentales dures sont également des indices de mortalité et de morbidité élevées associées aux stratégies d'histoire de vie rapide7. Les indicateurs d'imprévisibilité environnementale telles que des transitions parentales (divorce, décès et remariage)25 et des changements résidentiels7 prédisent des stratégies d'histoire de vie rapide.
Évidemment, les stratégies d'histoire de vie des individus sont également influencées par la génétique 10, 26–28. Le modèle de susceptibilité différentielle suggère que, confrontés aux mêmes conditions environnementales, des individus ayant des susceptibilités différentes peuvent avoir des trajectoires de développement différentes29.
Stratégie d'histoire de vie et santé mentale
Del Guidice1 a suggéré que les caractéristiques adaptatives - traits liés à l'histoire de vie et stratégies d'histoire de vie - pourraient à certains égards devenir une cause de symptômes sociaux indésirables par trois voies. Premièrement, ces traits sont des épées à double tranchant : un trait adaptatif en termes de fitness (valeur sélective) peut être considéré comme un symptôme indésirable et augmenter la vulnérabilité au dysfonctionnement (par exemple, plus susceptible d'être exposé à des facteurs de risque environnementaux), et causer des problèmes de santé physiologiques et psychologiques. Deuxièmement, les traits d'histoire de vie peuvent s'exprimer au-delà du niveau moyen des caractéristiques adaptatives et entraîner une inadaptation. Troisièmement, certaines stratégies d'adaptation sont bénéfiques pour la forme physique générale, mais peuvent induire des coûts élevés, par exemple, en provoquant des troubles mentaux dans un environnement difficile et imprévisible. De plus ces voies déviantes peuvent exister seules ou coexister avec d’autres troubles.
Récemment, une littérature abondante a examiné la relation entre les troubles mentaux et les traits d’histoire de vie. Del Giudice1–3 a systématiquement examiné les preuves empiriques existantes et classé les troubles associés en pathologies à spectre rapide ou lent sur la base de la théorie de l'histoire de vie.
Selon lui, les troubles à spectre rapide comprennent le trouble déficitaire de l'attention/hyperactivité (TDAH), le trouble obsessionnel-compulsif autogène (TOC), les troubles de la personnalité limite (TPL), les troubles du contrôle des impulsions et des conduites (TCIC), les troubles de régulation alimentaires (TRA), l’alcoolisme de type 2 et les troubles de type schizophrénique.
En revanche, les troubles du spectre autistique (TSA), la dépression, les profils perfectionnistes et surcontrôlés, les personnalités obsessionnelles, les troubles obsessionnels-compulsifs réactifs et l’alcoolisme de type 1ont été classés en troubles à spectre lent.
Tableau 2 d’après les ouvrages de Del Giudice1–3. (tableau 2)
Dans les sous-sections suivantes, nous avons résumé la littérature connexe récente sur ces troubles mentaux. Les témoignages sont organisés selon le tableau 1 et les travaux de Del Giudice1, 2.
Trouble déficitaire de l'attention et hyperactivité
Le TDAH est un trouble neurodéveloppemental caractérisé par des comportements inattentifs, hyperactifs et impulsifs, avec des altérations de l'interaction sociale et une baisse des performances scolaires et professionnelles30.
Certaines preuves montrent que le TDAH est une sorte de trouble à spectre rapide. Par exemple, il est corrélé avec une forte impulsivité et agressivité31, une faible conscience et amabilité32, une sexualité sans restriction33, et un faible statut socio-économique (SSE)34. En outre, le TDAH présente une forte comorbidité avec la schizophrénie et les troubles d'extériorisation2. Cependant, il peut être hétérogène et avoir différents sous-types ; par exemple, certains montrent moins d'agressivité ou une conscience plus élevée35. Il est donc nécessaire d'explorer différents sous-types de TDAH.
Spectre obsessionnel-compulsif
Les troubles du spectre obsessionnel-compulsif sont caractérisés par des pensées récurrentes, intrusives et incontrôlées, et un comportement rituel30. Ils sont classés en deux sous-types : les obsessions autogènes et les obsessions réactives. Les obsessions autogènes sont liées à des pensées non identifiables, brusques et internes, tandis que les obsessions réactives sont associées à des stimuli externes identifiables, tels que la peur de l'échec, des accidents ou de l'asymétrie36. L’autogène est associé à des stratégies d'histoire de vie rapide1, et à une faible inhibition37. Le réactif peut être classé dans le spectre lent1 qui montre un contrôle inhibiteur élevé37V
Trouble de la personnalité limite (borderline)
Le trouble borderline se caractérise par des difficultés de régulation des émotions, la peur d'être abandonné, une forte impulsivité et prise de risque, et des relations interpersonnelles instables30. Certaines preuves indiquent que le trouble borderline reflète une stratégie d'histoire de vie rapide : moins d'investissement parental et un effort d'accouplement plus élevé, des comportements sexuels plus à risque et un environnement d'enfance défavorable38-40.
Troubles du contrôle des impulsions et des conduites
Ces troubles comprennent le trouble oppositionnel avec provocation, le trouble des conduites, le trouble explosif intermittent et d'autres troubles apparentés30. Ils ont été classés comme représentatifs de la psychopathologie à spectre rapide par de nombreux ouvrages. Les symptômes sont associés à des stratégies d'histoire de vie rapide, comme un comportement impulsif, la toxicomanie, un comportement antisocial41, des débuts sexuels précoces42, des comportements sexuels plus problématiques43 et une maturation précoce44. En ce qui concerne la personnalité, ces troubles sont associés à une faible amabilité, une faible conscience et un fort névrosisme45. Ils sont plus répandus dans des environnements familiaux imprévisibles et difficiles, des événements de vie plus négatifs, un faible statut socio-économique et une mauvaise santé mentale paternelle46–48. Ces stratégies hautement risquées augmentent la probabilité de survivre dans un environnement difficile, ce qui est globalement adaptatif, mais avec des résultats et des symptômes socialement indésirables1.
Troubles des conduites alimentaires
Les troubles de la régulation alimentaire sont une famille de troubles caractérisés par une préoccupation excessive à l'égard du poids et des habitudes alimentaires anormales30. Ils sont classés en trois sous-types selon l'hétérogénéité de la personnalité : profils dérégulés, perfectionnistes et surcontrôlés49. Del Giudice a classé ces trois sous-types en troubles à spectre rapide ou lent. Le sous-type dérégulé caractérisé par l'impulsivité, l'attachement insécure et la dérégulation des émotions, reflète des stratégies d'histoire de vie rapides. Le sous-type perfectionniste caractérisé par une conscience élevée et une affectivité négative, reflète des stratégies d'histoire de vie lentes. Le sous-type surcontrôlé caractérisé par l'évitement interpersonnel, une faible estime de soi et une émotivité restreinte, s’apparente à des stratégies d'histoire de vie lentes1. Il faudrait d'autres preuves empiriques pour confirmer cette classification.
Troubles du spectre de la schizophrénie
La schizophrénie se caractérise par des idées délirantes, des hallucinations, une pensée désorganisée et des comportements désorganisés30.
Personne ne comprend pourquoi ces troubles nocifs pour la survie et le succès reproducteur existent dans toutes les sociétés avec une prévalence de plus de 1% et une héritabilité élevée50, 51. Le modèle de sélection sexuelle51, 52 émet l'hypothèse qu'un niveau élevé de créativité verbale et artistique, l'un des principaux traits schizotypiques53–55, est un indicateur de fitness qui contribue au succès de l'accouplement plutôt qu'au succès de la survie. C'est comme la queue du paon magnifique mais encombrante, une sorte de caractéristique morphologique indiquant la haute qualité des gènes et un succès reproducteur prometteur1. La schizotypie est sensible à la qualité génétique et aux conditions écologiques. Il peut s'agir d'un trait adaptatif pour favoriser le succès de l'accouplement lorsque la forme génétique est fonctionnelle et que les conditions écologiques de développement sont favorables (par exemple, investissement parental élevé)51. Cependant, si le contraire se produit, cela aboutit à un autre extrême inadapté et dysfonctionnel : la schizophrénie nuit au succès de la parade nuptiale. Ainsi, Shaner et ses collègues51 ont décrit la schizophrénie comme l'extrême peu attrayant d'un trait mental très variable qui a évolué comme un indicateur de forme physique influençant le choix du partenaire.
En ce sens, la schizophrénie correspond à la troisième voie de la stratégie d'histoire de vie vers la psychopathologie proposée par Del Giudice 1 qui indique une histoire de vie rapide orientée vers le succès conjugal à court terme53, 56. Des recherches récentes valident cette hypothèse ; par exemple, la schizophrénie est associée à plus de partenaires sexuels57 et à un investissement moindre dans des relations étroites à long terme58. Par ailleurs, un niveau élevé de traits schizotypiques est lié à une plus grande agressivité59 et à une moindre amabilité. Les preuves montrent que l'environnement difficile augmente le risque de schyzotypie60, 61, coïncidant avec les stratégies d’histoire de vie rapide57. En un mot, elles représentent une sorte de stratégie d'histoire de vie extrêmement rapide pour maximiser les chances de reproduction avec succès, malgré le coût élevé pour la santé mentale.
Troubles liés à l'utilisation de substances
Les troubles liés à l'usage de substances font référence à l'usage nocif ou illégal de drogues : alcool, cocaïne, hallucinogènes et autres30. Pour les troubles liés à la consommation d'alcool, les deux sous-types 1 et 2, sont associés respectivement à des stratégies d'histoire de vie lente et rapide62. Le type 1 montre une faible impulsivité, un évitement des risques, une forte dépendance aux récompenses et un statut socio-économique familial élevé, tandis que le type 2 reflète une psychopathologie à spectre rapide, comme la recherche de sensations, un faible évitement des risques et une faible dépendance aux récompenses2, 62, 63.
Troubles du spectre autistique
Les TSA sont un ensemble de troubles hautement héritables caractérisés par des troubles de l'interaction sociale, des troubles de la communication et des comportements et intérêts répétitifs30. Certaines études suggèrent que les traits de type autistique et les traits schizotypiques soient respectivement deux pôles du continuum des stratégies d'histoire de vie lent-rapide53, 56. Les traits de type autistique sont associés à un comportement avec peu de risques56,64, à une baisse de la libido65, à moins d'effort d'accouplement, à un investissement à plus long terme53, et à une maturation sexuelle plus tardive chez les femmes 66. De plus, les parents plus âgés augmentent le risque d'autisme67. Cependant, pour la personnalité, certaines études constatent que la gravité des symptômes de l'autisme est négativement liée à l'amabilité et à la conscience68, 69. Les TSA et le TDAH ont une comorbidité élevée70. Des preuves actuellement controversées indiquent que les TSA peuvent comprendre différents sous-types dans la perspective de la théorie de l'histoire de vie2.
La dépression
La dépression se caractérise par une humeur maussade de longue durée et une perte d’intérêt30. Il existe des preuves empiriques montrant que la dépression reflète des stratégies d'histoire de vie rapides : faible amabilité, conscience et désinhibition, forte agressivité et impulsivité, faible statut socio-économique71–74. La puberté et la sexualité précoces sont des facteurs de risque de dépression75. Cependant, certaines études impliquent que la dépression est hétérogène et montre des caractéristiques à spectre lent (par exemple, un attachement sécure)76.
Troubles de la personnalité obsessionnelle-compulsive
Ces troubles se caractérisent par des préoccupations extrêmes concernant l'ordre ou la propreté, le perfectionnisme, un besoin excessif de contrôle mental et interpersonnel et une adhésion rigide aux rituels30. Ils sont plutôt classés comme des troubles à spectre lent : ils sont corrélés à l'évitement des risques et des dommages, à la gratification différée, à l'actualisation des récompenses immédiates, à l'inhibition comportementale, à la conscience, à un statut socio-économique élevé et à un effort parental élevé77.
Le tableau 2 n’inclut pas tous les types de troubles mentaux mentionnés dans le DSM-5 (manuel psychiatrique de référence), et il reste encore beaucoup à faire pour optimiser le cadre théorique.
Il existe certaines limites de la taxonomie psychopathologique traditionnelle. Dans la recherche en psychopathologie, la catégorie intériorisation-extériorisation utilisée par le DSM-5 est l'une des taxonomies représentatives78. Il a été prouvé que l'approche dimensionnelle a une fiabilité limitée pour expliquer deux phénomènes clés3 78 79. 1/ Une comorbidité entre différents troubles, par exemple, le TOC (trouble obsessionnel-compulsif) est classé dans le spectre d'intériorisation mais positivement associé à des problèmes d'extériorisation80. 2/ L'hétérogénéité d'un même trouble, par exemple, les TOC ont différents sous-types1. Mais le cadre de la théorie de l'histoire de vie permet de comprendre facilement la forte cooccurrence et l'hétérogénéité de certains troubles. Différents sous-types reflètent différentes stratégies d'histoire de vie en réponse à des conditions environnementales spécifiques.
De nombreuses études empiriques indiquent que le « facteur p », facteur général de psychopathologie, se situe au-dessus des domaines d'intériorisation, d'extériorisation et psychotiques81–83. Des études montrent que les scores de p sont positivement associés au dysfonctionnement biologique, aux conditions difficiles de développement précoces, à la déficience de la vie adulte et aux antécédents familiaux de troubles mentaux83. Le facteur p représente un facteur de susceptibilité génétique et biologique aux risques environnementaux (ex : exposition à un traumatisme)3, 83 et correspond aux facteurs génétiques et aux facteurs de risque environnementaux précoces dans le cadre de la théorie d'histoire de vie1. En ce sens, la taxonomie hiérarchique de la psychopathologie fournit des preuves empiriques solides pour témoigner de la validité de l'approche de la théorie d'histoire de vie.
Méthodes de recherche
Il existe des travaux substantiels évaluant la relation entre les troubles de santé mentale et les stratégies d'histoire de vie avec diverses méthodes de recherche, par exemple, des modèles transversaux, longitudinaux et expérimentaux. Les études connexes ont trois objectifs :
1/ Démontrer la corrélation entre les traits liés à l'histoire de la vie (par exemple, la personnalité, la maturation sexuelle, l'impulsivité et le taux de développement) et la psychopathologie.
2/ Indiquer les facteurs de risque et de protection des troubles.
3/ Explorer le mécanisme sous-jacent basé sur la théorie de l'histoire de la vie.
Conception transversale
Dans la recherche médicale, une étude transversale est une méthode de recherche et d’observation qui collecte des données auprès d'un ou de différents groupes à un moment précis, elle décrit la distribution et la morbidité d'une maladie spécifique et le lien entre les maladies et les facteurs écologiques. Les principales méthodes d'analyse statistique comprennent l'analyse de corrélation, la modélisation par équation structurelle et l'analyse de régression, pour révéler la corrélation des phénomènes observés.
Les études transversales accumulent un grand nombre de preuves directes et indirectes de la psychopathologie évolutionniste. Par exemple, Hurst et Kavanagh4 ont mesuré les stratégies d'histoire de vie des participants à l'aide d’échelles et ont montré une corrélation positive significative entre les scores des stratégies d'histoire de vie rapide et la psychopathologie en général.
Bien que des études transversales puissent fournir des preuves éclairantes de la corrélation entre la psychopathologie et la théorie de l'histoire de vie, dans la plupart des cas, elles ne suffisent pas à déterminer la relation temporelle ou causale ni la direction de la relation.
Conception longitudinale
La recherche longitudinale est basée sur l’observation d’un groupe pour collecter le des variables identiques sur le long terme, d’un an à plusieurs décennies. Contrairement à la conception transversale, l'étude longitudinale peut retracer les courbes de changement des variables et offre la possibilité de déterminer la nature causale exacte des troubles mentaux sur la base de séries chronologiques. En utilisant un modèle de médiation séquentielle, ces études visent à découvrir comment la stratégie d'histoire de vie influence les symptômes psychopathologiques.
Une récente étude longitudinale de 6 ans avec un échantillon de 1245 adolescents et leurs parents de neuf pays a révélé que les problèmes d'extériorisation étaient associés à des stratégies d'histoire de vie rapide84. Chang et ses collaborateurs ont mesuré chez des enfants de 10, 13 et 15 ans la dureté et l'imprévisibilité de l'environnement, les stratégies d'histoire de vie (contrôle de soi, relation parent-enfant, soutien familial, soutien social et altruisme général), et les comportements d'extériorisation à l'aide de la liste de contrôle du comportement de l'enfant rapporté par les parents. Les résultats ont indiqué qu'un environnement précoce difficile et imprévisible avait un impact sur les comportements d'extériorisation des adolescents, qui était médiatisé par la stratégie d'histoire de vie. L'environnement défavorable de l'enfance a favorisé la stratégie d'histoire de vie rapide des enfants, puis les stratégies d'histoire de vie rapide, à leur tour, ont régulé les comportements et le développement des enfants.
On se demande toujours comment les conditions environnementales précoces affectent les comportements, la personnalité, l'accouplement et d'autres domaines de la vie connexes. Par exemple, certaines études ont montré que les environnements de voisinage et de parentalité difficiles et imprévisibles pendant l'enfance prédisent un âge plus précoce de maturation sexuelle, puis provoquent des comportements sexuels à risque et une délinquance plus importante chez les adolescents85. Cependant, d'autres études utilisant la modélisation des équations de séquence ont révélé que la personnalité intervenait dans l'association entre l'environnement précoce et les modes de vie à l'âge adulte4. Une conception longitudinale plus prospective ou rétrospective sur la durée de vie est nécessaire pour trouver des variables médiatrices et modératrices.
Conception expérimentale
Le dispositif expérimental consiste à établir une relation causale entre différentes variables. Dans la recherche psychopathologique, cette méthode est généralement appliquée dans l'étude de l'efficacité des médicaments et des traitements, l'étude de la fonction et de la structure cérébrale et d'autres études de fonctions ou de performances cognitives (par exemple, l'attention visuelle et la résolution de problèmes).
Griskevicius et ses collègues ont d'abord adopté le paradigme expérimental dans le cadre de la théorie de l'histoire de vie. Ils ont utilisé des méthodes d'amorçage expérimentales (par exemple, lire des documents sur la mortalité et l'insécurité croissantes actuelles) et ont mené une série d'expériences pour tester la tendance comportementale liée à la théorie de l'histoire de vie (par exemple, la prise de risque, la récompense différée et le choix reproductif chez les femmes)20, 21, 86. Ce travail donne un aperçu de l'action combinée des indices environnementaux actuels et de l'environnement de la petite enfance. La série d'études empiriques démontre que lorsqu'ils sont confrontés à des indices environnementaux dangereux (par exemple, menace de mortalité, rareté des ressources et amorçage de la récession économique), les individus qui ont grandi dans des environnements d'enfance défavorables ont une orientation de récompense à court terme (par exemple, impulsivité, priorité à l'accouplement et intention de s'accoupler et d’avoir plus d'enfants). À l'inverse, ceux qui ont grandi dans des conditions favorables conservent une orientation de récompense à long terme.
Peu d'études ont examiné différents troubles mentaux à l'aide de manipulations expérimentales. Curieusement, Brüne39 a adopté la procédure d'amorçage de Griskevicius chez les participants atteints de trouble de personnalité limite. Les participants atteints de trouble borderline et le groupe témoin ont reçu pour instruction de s'imaginer dans trois conditions de relation amoureuse : « prévisiblement sûr », « imprévisible » et « prévisiblement risqué », avec des informations sur le niveau de disponibilité des ressources. Le résultat a montré que les patients atteints de trouble borderline étaient significativement plus susceptibles de s'engager dans des relations sexuelles précoces que le groupe témoin, et même dans le cas de sécurité prévisible, ils s'attendaient à moins d'investissement parental de leurs partenaires hypothétiques. Cette étude vérifie que le trouble borderline est une sorte de trouble à spectre rapide.
En plus des modèles de recherche énumérés ci-dessus, il existe d'autres méthodes d'étude. Par exemple, Del Giudice87 a utilisé une étude de simulation, une sorte d'expérience informatique, pour créer des données basées sur des hypothèses et utiliser des modèles mathématiques pour tester le degré d'intégration entre les symptômes psychopathologiques et les stratégies d'histoire de vie.
Orientation future
Sur la base de la littérature existante, nous présentons un modèle intégré de psychopathologie dans le cadre théorique d'histoire de vie (figure 1). La couche la plus externe de ce modèle est le contexte culturel et historique. Par exemple, la culture monogame et la culture polygame entraînent des répercussions différentes sur la socio sexualité88. Les conditions écologiques et les facteurs génétiques intégrés dans le macro-environnement affectent conjointement le développement des individus. Les conditions écologiques façonnent l'environnement d'éducation des enfants (par exemple, le style parental et la nutrition), qui influencent les stratégies d'histoire de vie des individus, y compris les résultats psychologiques, physiologiques, neurobiologiques et le choix reproductif avec le système d'attachement comme centre. Dans ce modèle, les facteurs génétiques englobent le sexe, la susceptibilité et la charge de mutation. La différence sexuelle est un sujet essentiel en psychopathologie évolutive car les asymétries sexuelles introduites par la sélection sexuelle entraînent des différences dans les stratégies d'histoire de vie et la psychopathologie1. Notez que les flèches dans la figure ne signifient pas nécessairement des relations causales, car chaque partie du modèle peut interagir et façonner d'autres domaines de la vie. Ce modèle peut être utile pour de futures recherches.
Fig. 1 : modèle intégré de psychopathologie dans le cadre théorique de l'histoire de vie (fig.1)
Certains points doivent être soulignés
Premièrement, ces dernières années, des théories et des modèles prometteurs ont été proposés pour expliquer la structure des troubles psychiatriques. La théorie de l'attachement est l'une des théories représentatives qui a été considérée comme un cadre fructueux pour les origines et le traitement des troubles mentaux. De plus en plus de littérature suggère que l'attachement insécure est un facteur critique de sous-estimation de la santé mentale89–91. Du point de vue de la théorie de l'attachement, un attachement insécure, peu fiable et incohérent contribue à la vulnérabilité au stress et à l'adversité de la vie, et de nombreux troubles mentaux sont associés à un attachement insécure91. De plus, renforcer l'attachement sécure est efficace pour soulager les symptômes91. L'attachement est considéré comme un médiateur pour relier les conditions environnementales et les résultats du développement dans la théorie de l'histoire de vie. Les premiers indices environnementaux façonnent l'environnement d'éducation des enfants (style parental) qui est un signal direct du risque et de l'incertitude écologiques actuels pour les enfants et constitue le fondement de leur attachement. Les enfants discernent différents indices environnementaux et développent un attachement sécure ou insécure correspondant à différentes trajectoires de développement : stratégies d'histoire de vie lentes et rapides10, 92–94. Il est nécessaire d'inclure l'attachement en tant qu'indicateur central de différentes conditions de santé mentale du point de vue de la théorie de l'histoire de vie afin d'offrir un cadre intégratif pour développer des thérapies efficaces.
Deuxièmement, la théorie de l'histoire de vie montre des facteurs environnementaux et génétiques ; les deux ont des impacts sur l'élaboration de la stratégie d'histoire de vie d'un individu2, 26. L'interaction gène/environnement joue un rôle crucial dans les résultats comportementaux, psychologiques et physiologiques du développement. Différents individus ont une plasticité développementale différente. Par exemple, certains individus sont plus sensibles aux conditions écologiques défavorables et favorables que d'autres29, 95. De nombreux troubles sont modérément à hautement héritables1, il est donc important de révéler comment les gènes interagissent avec l'environnement précoce. La prochaine étape essentielle pour étendre le cadre consiste à intégrer les résultats de recherche actuels axés sur les traits de comportement et de personnalité, avec les résultats neurobiologiques, d'imagerie et génétiques de la théorie de l'histoire de vie1, 3, 39.
Troisièmement, certains chercheurs ont émis l'hypothèse que différents taux et degrés de développement cérébral, ainsi que le développement des surrénales et des gonades, pourraient contribuer aux différences individuelles dans les stratégies d'histoire de vie12. Il existe encore peu de preuves neurologiques et biologiques empiriques en psychopathologie pour tester cette hypothèse. Cependant, la théorie du stress précoce donne un aperçu de cette intégration, indiquant que les environnements défavorables précoces, y compris la dépression maternelle, la maltraitance et la négligence, ont un effet négatif à long terme sur la fonction cérébrale et la réactivité neuroendocrinienne, puis augmentent le risque de psychopathologie. Les recherches futures sur les stress précoces aideront à intégrer la théorie de l'histoire de vie avec les paramètres neurobiologiques et neuroendocriniens de la psychopathologie. Par exemple, de nombreuses recherches montrent que le stress précoce endommage la régulation de l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien et altère la fonction des régions cérébrales liées à la régulation des émotions, ce qui peut augmenter le risque de dépression96. De plus, certaines études animales indiquent que le stress précoce et les événements de vie stressants actuels ont tous deux des effets sur la dérégulation des systèmes sérotoninergiques dans certains troubles neuropsychiatriques97. Par exemple, l'exposition aux stress précoces est corrélée à une carence en 5-hydroxytryptamine et à la dépression98, 99. En raison du manque d'études cliniques empiriques, il existe moins de preuves directes sur la relation entre les stratégies d'histoire de vie, les changements neurologiques et la psychopathologie. Il est nécessaire de mener des études longitudinales pour en explorer les mécanismes à l'avenir.
Au-delà de l'attachement et de la génétique, des études directes et indirectes en termes de psychopathologie dans l'approche de l'histoire de vie permettent de valider et d'étendre le cadre actuel. De nombreux troubles restent encore dans une classification ambiguë (par exemple, le trouble de stress post-traumatique et les troubles de l'éveil et du sommeil). Brüne39 a proposé que la plupart des troubles puissent être un mélange de spectre rapide et lent plutôt qu'un spectre à polarité unique. Peut-être que le spectre rapide-lent sera un axe de coordonnées : chaque trouble ayant une coordonnée qui montre l'étendue des traits rapides et lents liés aux stratégies d'histoire de vie, plutôt qu'une simple classification.
En résumé, les études futures devraient appliquer des méthodes d'étude multidisciplinaires et multidimensionnelles (par exemple, une étude interculturelle) pour décrire une taxonomie évolutive complète et un système de traitement des troubles mentaux.
Han W, Chen BB
An evolutionary life history approach to understanding mental health
Gen Psychiatr. 2020;33(6):e100113. Published 2020 Oct 1
DOI : 10.1136/gpsych-2019-100113
Par catégorie professionnelle | |
Médecins | 27% |
Professions de santé | 33% |
Sciences de la vie et de la terre | 8% |
Sciences humaines et sociales | 12% |
Autres sciences et techniques | 4% |
Administration, services et tertiaires | 11% |
Economie, commerce, industrie | 1% |
Médias et communication | 3% |
Art et artisanat | 1% |
Par tranches d'âge | |
Plus de 70 ans | 14% |
de 50 à 70 ans | 53% |
de 30 à 50 ans | 29% |
moins de 30 ans | 4% |
Par motivation | |
Patients | 5% |
Proche ou association de patients | 3% |
Thèse ou études en cours | 4% |
Intérêt professionnel | 65% |
Simple curiosité | 23% |
Depuis quelques années, le problème de l'antibiorésistance, les progrès de la génomique, la redécouverte du microbiote et la prise en charge de maladies au long cours, nécessitent l'introduction d'une pensée évolutionniste dans la réflexion clinique.
Le premier diplôme universitaire intitulé "Biologie de l'évolution et médecine" a été mis en place à la faculté de Lyon en 2016.
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