humeur du 03/06/2020
Nos enfants voient beaucoup de morts à la télévision, mais ils n’en voient plus dans le lit de leurs aïeux. Seuls 27% des Français meurent à la maison. Les autres meurent en EHPAD (13%), en clinique privée (8%), et surtout à l’hôpital public (52%). L’État est régulièrement lapidé, mais c’est à lui que l’on délègue l’intimité de la mort.
La prise en charge de la mort n’a jamais été une mission explicite de l’hôpital. Ces temples de la science biomédicale accueillent des agonies dont l’évidence ne nécessite aucune autre expertise que celle de la compassion. 20% de ces morts hospitalières ont lieu moins de 24 heures après l’admission, souvent dans le couloir des urgences. La durée moyenne de fin de vie à l’hôpital est d’un mois, dont moins de 20% en soins palliatifs. Le concept de palliatif est refusé, car il exhibe notre finitude. On préfère exposer les chromes de l’urgence : 25% des morts hospitalières et 35% des morts en CHU ont lieu dans un service de réanimation. Viroses respiratoires ou autres, 80% des maladies infectieuses meurent à l’hôpital. Nos grands progrès en ce domaine n’ont pas réussi à entamer la suprématie apocalyptique des maladies infectieuses. Le cancer suit de près avec 72% de morts à l’hôpital : ici inversement, malgré la médiocrité de ses progrès, la médecine a réussi à convaincre que l’on ne devait plus en mourir.
Pourtant, les enquêtes révèlent que la grande majorité de nos concitoyens ne souhaitent pas mourir à l’hôpital, (réponses possiblement biaisées par le fait qu’ils ne souhaitent pas mourir ailleurs non plus) ! Le plus pittoresque, si j’ose, est la gestion de cette mascarade imposée. Le nombre moyen de médicaments consommés en ces fins de vie est de 24. Un patient sur 6 en reçoit plus de 35 chaque jour ! Dont une grande partie n’a évidemment aucun intérêt pour augmenter la quantité/qualité de vie. Pire, les traitements hospitaliers sont souvent plus agressifs et moins compatibles avec une mort paisible. Le plus surprenant est que lors d’une hospitalisation imputée à un excès de médicaments, il arrive souvent que le patient ressorte avec une ordonnance plus chargée que celle de l’entrée. Tout se passe comme si l’hôpital, débordé par l’évolution de nos mentalités, n’avait plus de liberté cognitive.
La mort infectieuse étant devenue inacceptable à tout âge, les viroses saisonnières encombrent la réanimation respiratoire. Si les insuffisances rénales terminales devenaient inacceptables à leur tour, nous n’aurions jamais assez de lits de dialyse.
Voilà de belles polémiques en perspective, qui nous empêcheront de voir que les budgets se sont progressivement détournés vers la gestion de l’ingérable, en ayant négligé l’indispensable protection maternelle et infantile.
Le traitement optimal de nos aïeux est un subtil mélange de respect d’affection de palliatif et de compassion. Réservons les budgets à l’utérus et la petite enfance, car c’est là que se dessinent tous les risques qui empêchent d’atteindre de grands âges.
Curtin D, O'Mahony D, Gallagher P
Drug consumption and futile medication prescribing in the last year of life: an observational study
Age Ageing. 2018 Sep 1;47(5):749-753
DOI : 10.1093/ageing/afy054
Lalande F, Veber O
La mort à l'hôpital
IGAS, Rapport N°RM2009 -124P 3
Pérez T, Moriarty F, Wallace E, McDowell R, Redmond P, Fahey T
Prevalence of potentially inappropriate prescribing in older people in primary care and its association with hospital admission: longitudinal study
BMJ. 2018 Nov 14;363:k4524
DOI : 10.1136/bmj.k4524
Pivodic L, Pardon K, Miccinesi G, Vega Alonso T, Moreels S, Donker GA, Arrieta E, Onwuteaka-philipsen BD, Deliens L, Van den Block L
Hospitalisations at the end of life in four European countries: a population-based study via epidemiological surveillance networks
J Epidemiol Community Health, nov 2015
DOI : 10.1136/jech-2015-206073
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A l'aide des sciences expérimentales actives, l'homme devient un inventeur de phénomènes, un véritable contremaître de la création; et l'on ne saurait, sous ce rapport, assigner de limites à la puissance qu'il peut acquérir sur la nature, par les progrès futurs des sciences expérimentales.
Maintenant reste la question de savoir si la médecine doit demeurer une science d'observation ou devenir une science expérimentale. Sans doute la médecine doit commencer par être une simple observation clinique. Ensuite, comme l'organisme forme par lui-même une unité harmonique, un petit monde (microcosme) contenu dans le grand monde (macrocosme), on a pu soutenir que la vie était indivisible et qu'on devait se borner à observer les phénomènes que nous offrent dans leur ensemble les organismes vivants sains et malades, et se contenter de raisonner sur les faits observés. Mais si l'on admet qu'il faille ainsi se limiter, et si l'on pose en principe que la médecine n'est qu'une science passive d'observation, le médecin ne devra pas plus toucher au corps humain que l'astronome ne touche aux planètes. Dès lors l'anatomie normale ou pathologique, les vivisections, appliquées à la physiologie, à la pathologie et à la thérapeutique, tout cela est complètement inutile. La médecine ainsi conçue ne peut conduire qu'à l'expectation et à des prescriptions hygiéniques plus ou moins utiles; mais c'est la négation d'une médecine active, c'est-à-dire d'une thérapeutique scientifique et réelle.
― Claude Bernard
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