dernière mise à jour le 10/12/2023
Comparé à d’autres primates, le sommeil humain est exceptionnellement court. Cela nous a-t-il déjà donné un avantage évolutif ?
Le sommeil d’Homo sapiens est une anomalie chez les primates. Nos parents les plus proches, les chimpanzés, dorment trois heures de plus que la moyenne des humains, sur un matelas de branches suspendue dans la canopée. Le lémurien souris, de la taille d’un pouce et aux yeux énormes, dort 17 heures par jour.
En analysant le temps de sommeil de différents primates, et après avoir pris en compte des facteurs tels que la taille du cerveau, le degré de prédation et le métabolisme, cette étude permet de prédire avec précision la quantité de sommeil dont chaque espèce a besoin. Mais on constate que cette prédiction n’est pas valable pour les humains. Ces modèles prédisent que les humains devraient dormir de 10,5 à 11 heures par jour ; c’est donc trois à quatre heures de plus que la durée moyenne du sommeil des humains qui est de sept heures. Non seulement nous dormons beaucoup moins que le singe moyen, mais nous passons également une plus grande partie de ce temps en sommeil paradoxal, le stade de sommeil le plus profond. Les humains passent jusqu’à 25% de leur nuit en sommeil paradoxal, le temps le plus long de tous les primates.
Ce fait est particulièrement surprenant lorsque l’on considère les fonctions du sommeil. Une bonne nuit de sommeil contribue à une meilleure intelligence, à une meilleure mémoire, à une meilleure résolution de problèmes, à la créativité et à l’innovation – des attributs tous associés à ce que signifie être humain.
Pour expliquer cet écart, l’auteur suggère qu’un sommeil plus court et plus profond peut avoir fourni un avantage de survie lorsque l’on dort sur le sol. Par rapport à la cime des arbres, le sommeil terrestre rendait l’Homo sapiens plus vulnérable à la prédation. Dormir intensément et pendant des périodes plus courtes signifiait que les premiers humains bénéficiaient des bienfaits du sommeil tout en étant capables de se défendre.
Cependant, trop de sommeil profond est dangereux. Le sommeil paradoxal est le stade du sommeil au cours duquel nous faisons des rêves, de sorte que nos muscles sont paralysés pour éviter de « réaliser » ces rêves. Dans son « hypothèse du sommeil social », l’auteur suggère que nos ancêtres atténuaient ce risque de sommeil profond en dormant en grands groupes avec au moins une personne de garde.
Nos ancêtres chasseurs-cueilleurs ancestraux ont peut-être dormi en groupes de 15 à 20 autour d’un feu de camp, restant éveillés à tour de rôle et veillant sur les autres.
La protection obtenue en dormant socialement a permis aux premiers humains d’obtenir une meilleure nuit de sommeil. Comme le savent tous ceux qui ont eu affaire à un enfant privé de sommeil, un meilleur sommeil nous rend plus réceptifs et facilite l’interaction sociale. L’établissement de relations plus solides a peut-être favorisé des groupes de sommeil plus coopératifs et amélioré le sommeil, dans une boucle de rétroaction soporifique.
En dormant plus efficacement, les premiers humains pouvaient également rester éveillés plus tard dans la nuit, en chantant des chansons, en apprenant de nouvelles compétences et en développant des amitiés. Le temps supplémentaire consacré à la transmission d’informations culturelles et au renforcement des liens sociaux aurait donné à l’Homo sapiens un avantage évolutif.
Des indices du comportement social de sommeil de nos ancêtres peuvent être perçus dans nos habitudes de sommeil modernes. Une étude de 2011 a révélé que les personnes seules ont un sommeil plus fragmenté que celles qui sont plus connectées socialement, un effet que les auteurs attribuent à un manque de sécurité.
D’autres preuves indirectes de l’hypothèse du sommeil social proviennent des grandes variations naturelles entre les humains pour les moments de réveil et d’endormissement. Ces différences ou « chronotypes » déterminent les couche-tôt, les couche-tard, les lève-tôt et lève-tard. La sélection naturelle peut avoir favorisé des différences génétiques de chronotypes pour augmenter la probabilité qu’au moins un membre d’un groupe soit éveillé à un moment donné.
Ce n’est qu’au cours des dernières décennies que les anthropologues ont été en mesure de faire passer les études du sommeil du laboratoire au terrain, grâce au développement de petits capteurs ressemblant à des montres-bracelets qui offrent une alternative aux appareils d’électroencéphalographie (EEG) traditionnellement utilisés. Les auteurs de cette étude ont en grande partie déduit les habitudes de sommeil ancestrales en observant les Hadza, une communauté moderne de chasseurs-cueilleurs en Tanzanie.
En mesurant leurs habitudes de sommeil sur plusieurs semaines, les chercheurs ont découvert qu’il était étonnamment rare que tous les membres de la communauté dorment en même temps : cela ne s’est produit que pendant un total de 18 minutes sur une période de 20 jours. Ils ont également démontré que le chronotype change avec l’âge, ce qui suggère que les groupes composés de plusieurs générations avaient probablement le plus grand avantage de survie.
Ces données suggèrent que le sommeil de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs était flexible ; ils dormaient probablement pendant le jour et la nuit et faisaient de fréquentes siestes. Cette approche du sommeil a peut-être permis la migration de l’Homo sapiens hors d’Afrique et dans des régions où les jours d’hiver sont plus courts.
Bien que cette hypothèse soit largement soutenue par les chercheurs sur l’évolution du sommeil, certains pensent qu’elle néglige le rôle de la sélection de parentèle. Ceux-là suggèrent que le rôle de la garde dans les groupes ancestraux n’était pas partagé équitablement, mais que la plus grande partie incombait aux hommes. Ce comportement apparemment altruiste pourrait s’expliquer par le fait que, lors de la formation de relations, une femme quittait son propre groupe social pour rejoindre celui de son partenaire. Les hommes étant plus étroitement liés aux autres membres du groupe, ils seraient alors plus investis dans la survie du groupe. Cependant, cette dernière hypothèse est minoritaire parmi les chercheurs sur le sommeil.
Nunn CL, Samson DR
Sleep in a comparative context: Investigating how human sleep differs from sleep in other primates
Am J Phys Anthropol 2018 Jul 166 3 601 612
DOI : 10.1002/ajpa.23427
Samson DR
The Human Sleep Paradox: The Unexpected Sleeping Habits of Homo sapiens
Annual Review of Anthropology Vol 50 259 274 Volume publication date October 2021
DOI : 10.1146/annurev-anthro-010220-075523
Par catégorie professionnelle | |
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Depuis quelques années, le problème de l'antibiorésistance, les progrès de la génomique, la redécouverte du microbiote et la prise en charge de maladies au long cours, nécessitent l'introduction d'une pensée évolutionniste dans la réflexion clinique.
Le premier diplôme universitaire intitulé "Biologie de l'évolution et médecine" a été mis en place à la faculté de Lyon en 2016.
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